Retrouver le sommeil a été un de mes plus grands défis face à la dépression, qui m’a fait connaître insomnies et cauchemars à répétition.
Longtemps, la nuit a été le siège de mes pires angoisses. Je retardais le moment où j’allais fermer les yeux car j’avais peur de ce que j’allais découvrir. Peur du monde qui sommeillait en moi.
Quand la machine infernale se mettait en marche, elle produisait des cauchemars en série qui me réveillaient dans un sursaut dès qu’ils devenaient insupportables. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis levée de mon lit, persuadée qu’une chose terrible était advenue, que la fin du monde approchait ou que la mort frappait à ma porte. En sueur, le cœur battant, je mettais un temps à m’acclimater à la noirceur de ma chambre. Pas tout à fait sortie de mon rêve, je perdais tous mes repères.
Si j’arrivais à me rendormir, c’était avec grande difficulté et au prix de maintes tergiversations. À la recherche d’un calme qui ne venait pas, je fixais les murs. Si j’étais seule, j’imaginais que quelqu’un allait rentrer dans ma chambre. Je devais vérifier derrière les rideaux que personne ne se cachait sur le balcon. Mon corps était tellement agité que je ne parvenais pas à me raisonner. Finalement, plutôt que de le réparer, mon sommeil empirait l’état de mon mental.
Dormir était une expérience qui me traumatisait. Et cela, depuis la mort de ma sœur. Rien de plus logique à mon sens. Quand on s’endort, on s’abandonne, on lâche prise, notre corps est inerte, comme celui d’un mort. J’avais peur de mourir à mon tour, peur qui se reflétait dans mon impossibilité à trouver un sommeil profond.
Petit à petit, avec l’aide de la thérapie, j’ai appris à lire mes rêves. En journée, je contenais tellement mes émotions que la nuit, mon inconscient se lâchait. Par chance, j’arrivais à m’en souvenir. Je les notais. J’ai dû remplir des lignes et des lignes de ces constructions surréalistes, faites d’univers alternatifs, composées de personnages réels ou fictifs, mettant en scène du contenu explosif, souvent violent, rarement apaisant, systématiquement déconcertant.
Mes rêves en disaient beaucoup plus sur mes tourments, mes peurs et mes doutes que n’importe quel discours. Ils se nourrissaient de fuites, d’abandon, d’humiliations, de retards insurmontables, de voix qui n’arrivaient pas à s’exprimer, de pudeur maladive, d’agressions, de mort, de dégoût, de travaux impossibles à terminer, de chutes, de cris, de déchirements, de désespoir, de rejet et de rage. Ensemble, ils composaient le plus noir des tableaux. Les dents serrées, le front crispé, je les affrontais parce que je n’avais pas le choix. Personne ne peut échapper à son sommeil.
Quelques mois avant mon départ en arrêt maladie, des signaux annonçaient déjà ma dépression. Je disais à mon mari, « je ne me sens pas très bien », sans savoir pourquoi. Si j’ai enfin compris la gravité de ce que j’avais, c’est parce que je me suis mise à mal dormir. Et c’était encore pire qu’avant, pire que ce que j’aurais pu imaginer. En cinq nuits, j’ai dû cumuler cinq heures de sommeil. En journée, je me sentais comme une zombie en manque de caféine. À ce rythme, je n’ai pas pu tenir longtemps. La déflagration a été retentissante.
C’était il y a plus de deux ans. Aujourd’hui, je retrouve enfin du plaisir à dormir. Les rares fois où je réussis à dormir d’une traite, je me réveille le matin le sourire aux lèvres, comme si c’était la chose la plus fantastique qui soit. Surtout, je rêve de façon plus posée. Le film n’est jamais net, ni linéaire, ni simple, mais au moins, il a cessé de me faire peur à chaque instant. Dans certaines occasions, ma sœur me rejoint et nous discutons sans nous arrêter. Au début, cela m’attristait, car je m’attendais à la retrouver au réveil. Puis, j’ai appris à apprécier ces moments, comme s’ils se déroulaient pour de vrai.
En être arrivée là, c’est une grande victoire que je souhaite à tout le monde qui ferait face aux mêmes difficultés. Me réapproprier mon temps de sommeil, le voir comme une chance et non une plaie, une récompense et non un châtiment, une bonne recharge d’énergie et non un broyeur de vitalité, et enfin l’apprécier à sa juste valeur, m’a fait voir la vie autrement.
À présent, le mort « rêve » revêt une connotation positive. Je me suis remise à rêver avec joie, de nuit comme de jour. En ce moment, je rêve que ce satané virus disparaisse de la surface de la terre (et pourquoi pas l’attraper avec une passoire et l’enfermer dans une cage pour qu’il nous laisse tranquille, comme l’a si bien suggéré ma fille ?). Je rêve que nos difficultés collectives se transforment en opportunités pour de meilleurs lendemains. Je rêve de paix et d’amour. Je rêve d’un monde plus accueillant pour ma fille. Je rêve avec elle de crocodiles, de singes, de renards, de dragons ou de pingouins. Je rêve d’écriture. Je rêve pour sortir de moi-même. Je rêve pour me redonner du courage. Je rêve parce que ça fait du bien.
On ne devrait pas rêver de vivre ou vivre en rêvant, mais on peut se permettre le petit plaisir de rêver de temps en temps. De s’offrir une touche de fantaisie pour réenchanter nos vies et s’évader temporairement des tracas de notre quotidien. Poursuivre ses rêves et continuer à y croire coûte que coûte, c’est aussi une manière de se dépasser et de gagner en confiance en soi. Il est tellement facile de faire dans le scénario du pire. Autorisons-nous de tendres et doux rêves, pour une fois.
Française résidant à Bruxelles, âgée de trente-trois ans, j’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante parlementaire au Parlement européen. Animée par ma passion des mots, j’ai choisi de me lancer avec joie dans une aventure littéraire. En effet, écrire a toujours fait partie de moi, et ce dès le plus jeune âge. Mon premier roman, La nuit s’éveille et tout s’éclaire, est une œuvre de fiction basée sur mon récit de vie. Mon deuxième roman, Un homme vrai, raconte l’histoire d’un homme face à la dépression.