Deux soeurs, nous le resterons à jamais. Au-delà de la séparation, au-delà de la mort, notre lien et notre amour survivront pour l’éternité.
Dimanche 12 mai 2019
Ma Rirou adorée,
En ce jour, tu occupes le fond de mes pensées. Il y a neuf ans, tu t’es envolée pour l’éternité, au-delà du ciel et de la Terre, dans des contrées inconnues de l’humanité où tu as pu trouver la paix et la sérénité.
Neuf ans déjà. Sans pouvoir te serrer dans les bras. Sans entendre la douce tonalité de ta voix. Sans faire vivre notre complicité par nos rires, nos échanges, nos confidences. Sans pouvoir s’offrir une épaule réconfortante face aux lendemains qui déchantent. Sans partager la magie des plus beaux instants. Tu me manques tu sais, terriblement.
Alors que nous nous recueillons avec Papa et Maman dans le sanctuaire de ton souvenir, des trombes d’eau noient mes joues sous une cascade de chagrin. Quelques gouttes se faufilent entre mes lèvres sous tension. Leur goût a changé. Plutôt que de la peur et de la colère, elles abritent une tristesse si longtemps retenue, qui, à mon plus grand soulagement, a repris ses droits.
Derrière les pleurs se cache un cri de douleur. La plaie béante laissée par le drame de ta mort s’est rouverte en grand. Depuis ce jour où je suis tombée malade à mon tour, les points de suture que j’avais sommairement cousus se sont défaits un à un. À présent, je ressens pleinement ma souffrance, elle s’enflamme à coups de chants lyriques pour résonner dans tout mon corps et, curieusement, me faire du bien. Car, ce faisant, je peux m’en libérer. Il était temps.
En fermant les yeux, je te vois m’adresser un sourire, un sourire bienveillant, reflet de la bonté d’âme qui te caractérise. Parée de ton costume de grande-sœur protectrice, je t’entends me rassurer.
« Je t’accompagne partout où tu vas, je sèche tes larmes si ton navire tangue, je me délecte de ton bonheur quand ton regard s’illumine de mille éclats. En parlant de moi autour de toi, tu me fais vivre. À travers tes paroles, j’existe pour ma nièce en tant que Tata, c’est mon plus beau cadeau. »
Et moi te répondre. « Depuis ma renaissance, je ressens ta présence comme une sublime force d’amour. Mais, avec ce que j’ai compris, je ne peux pas m’empêcher de m’en vouloir. De ne pas avoir réalisé la violence des tourments que tu as endurés et de ne pas avoir été là pour toi alors que tu te battais seule en silence. »
Tenace, tu insistes. « Tu m’as pardonnée et tu m’as demandé pardon. Tu sais au fond de toi que je te l’ai accordé. Pourquoi ne te pardonnerais-tu pas ? Pourquoi ne t’accorderais-tu pas la même empathie et compassion que tu me témoignes aujourd’hui ? Nous avons fait ce que nous avons pu. Cesse d’être si dure avec toi-même »
Forcément, tu me fais réfléchir. « Ce n’est pas la femme que je suis aujourd’hui mais bien l’adolescente que j’ai été qui bouillonnait de colère, enfermée dans une spirale infernale de non-dits et de malentendus. Une jeune fille perdue dans le marasme des troubles de sa grande sœur, qui se sentait mise sur le banc de touche et qui a tenté tant bien que mal de se construire, privée de celle qu’elle percevait comme son modèle.
J’ai bien conscience que je n’avais pas le même âge.
Mais comment ai-je pu croire que tu avais choisi ta maladie ? Personne ne choisit d’être malade, quelle aberration. Ce n’est pas comme si j’avais choisi de sombrer dans la dépression.
Comment ai-je pu considérer que tu m’avais fait sciemment du mal ? Que tu m’avais effrayée en connaissance de cause ?
Comment ai-je pu dénigrer ces démons intérieurs que tu évoquais, cette voix étrangère à toi-même qui t’avait poussée à chuter de si nombreuses fois ? Ce dialogue contradictoire et épuisant, je l’ai vécu également.
Comment ai-je pu ne pas voir, que tu te renfermais dans ton univers pour te protéger, que tes capacités cognitives s’étaient mises en sommeil et non égarées, que tu ne faisais pas que te priver de nourriture car l’angoisse coupe la faim, et que tu ne courrais pas pour maigrir mais te faire du bien ? »
Agacée, tu me recadres. « Arrête de t’autoflageller. Tu as compris tout cela maintenant, le reste n’importe plus. Seuls comptent ton présent et ton avenir. Du bagage de ton passé, n’emporte avec toi que tes meilleurs souvenirs de nous, les deux soeurs inséparables.
Lorsque l’on jouait aux poupées en réinterprétant à notre façon la vie à Versailles et la Révolution française.
Lorsque l’on dégustait des assiettes de pâtes à la bolognaise avec Papa le mercredi midi devant « Ma Sorcière bien aimée ».
Lorsque Maman nous faisait des bisous à n’en plus finir.
Lorsque nous interprétions des spectacles grandioses dans le jardin de Papi et Mamie l’été à La Baule devant une assistance médusée, ou que nous construisions des châteaux de sable sur la plage.
Lorsque tu m’as emmenée à un concert de Franz Ferdinand. »
C’est alors que je me souviens.
« Lorsque nous avons passé une journée magique à Roland Garros.
Lorsque tu m’as appris à me maquiller.
Lorsque nous faisions les magasins ensemble, ou que nous nous rendions au cinéma.
Lorsque nous nous témoignions, si souvent, de l’affection, malgré nos chamailleries si communes entre deux soeurs.
Lors de nos virées au Château de Versailles où l’on te prenait pour une guide tant tu t’y connaissais en rois et reines.
Lorsque nous savourions des desserts en chocolat, que tu préparais divinement bien.
Lors de nos voyages avec Papa et Maman.
Lors de ces mois précieux où nous avons rattrapé le temps perdu. »
Tu me surprends en rajoutant ceci. « Lorsque tu t’es mariée. Lorsque tu as donné naissance. Je l’ai vécu aussi, avec toi. N’en doute pas une seconde. »
Le sourire au cœur, je reste sans voix.
« Merci ma Rirou. Grâce à toi, je me sens mieux. »
« J’oubliais. Lorsque tu réaliseras ton rêve et à toutes les étapes suivantes de ta vie, je serai là, lovée dans ton cœur à la place si confortable que tu m’as offerte et que je n’ai pas l’intention de quitter. »
« Cette place te sera à jamais réservée. »
« M’en voilà comblée. Je te remercie ma petite sœur chérie. »
« Il n’y a rien de plus normal. »
« Tu as quand même écrit un livre en ma mémoire, ce n’est pas rien. C’est le plus bel hommage que tu pouvais me rendre. Tu arriveras à le publier d’une façon ou d’une autre, j’en suis convaincue. Comme toi, je caresse l’espoir que notre histoire aidera celles et ceux qui s’y retrouvent. Surtout, promets moi que tu continueras à écrire. »
« Je te le promets. »
Française résidant à Bruxelles, âgée de trente-trois ans, j’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante parlementaire au Parlement européen. Animée par ma passion des mots, j’ai choisi de me lancer avec joie dans une aventure littéraire. En effet, écrire a toujours fait partie de moi, et ce dès le plus jeune âge. Mon premier roman, La nuit s’éveille et tout s’éclaire, est une œuvre de fiction basée sur mon récit de vie. Mon deuxième roman, Un homme vrai, raconte l’histoire d’un homme face à la dépression.