Faire son deuil est un processus long et difficile. Si la douleur de l’absence reste, on parvient à vivre avec à mesure que le temps passe.
Notre vie est faite de deuils. À mesure que nous grandissons, nous nous séparons de précédentes versions de nous-mêmes. L’être évolue perpétuellement et ce n’est pas qu’une question d’âge. Nos expériences nous forgent, nous en apprennent toujours plus sur le monde, influent sur nos désirs et nos aspirations.
Il y a aussi de ces circonstances extérieures qui provoquent des bouleversements, nous forçant à faire nos aurevoirs dans l’incompréhension et la douleur. Dans ces moments-là, tout est à reconstruire.
Si la fondation reste, si le noyau dur perdure, la structure se réagence, des portes s’ouvrent, d’autres se ferment, des nœuds se défont et des briques tombent, laissant rentrer la lumière et la place à de nouvelles pièces pour compléter l’édifice, on s’adapte, on regénère, on reprend vie. C’est ainsi que je vois le cheminement du deuil.
Il y aura toujours un avant et un après. Un avant et un après toute première fois. Un avant et un après tout changement important. Un avant et un après son enfance, son adolescence et son entrée dans l’âge adulte. Un avant et un après la rencontre de l’amour. Un avant et un après la parentalité. Un avant et un après la séparation qui, au plus extrême, prend la forme de la mort.
Pour moi, il y aura toujours un avant et un après Maryline, ma grande sœur. Une vie avec et une vie sans elle; des vies elles-mêmes parsemées de deuils, mais sans commune mesure avec le séisme provoqué par sa perte.
Entre l’annonce de son cancer et son dernier souffle, quinze jours seulement se sont écoulés. Nous la voyions dépérir mais nous n’avons rien vu venir car nous avons gardé l’espoir jusqu’au bout. Et puis, un matin, dans le métro, sur le chemin de l’université, ma mère m’a téléphoné. Ma sœur était dans le coma. Elle allait bientôt partir. C’était comme si une énorme enclume m’avait asséné un coup dans le ventre et une lame acérée avait transpercé mon cœur. On m’avait enlevé une partie de moi ; le sentiment d’abandon a été terrible.
Je ne pouvais pas le croire. Je me disais, il s’agit d’un cauchemar éveillé, rien de ceci n’est vrai, à un moment ou à un autre, tu vas rouvrir les yeux et ça sera fini, elle se tiendra devant toi, sur son lit d’hôpital, en t’assurant qu’elle va mieux, qu’elle répond bien au traitement et qu’elle guérira, juste à temps pour que vous puissiez aller à Disney toutes les deux comme vous vous en étiez fait le serment, parce que, après toutes ces années, vous vous étiez enfin retrouvées, vous, ces deux sœurs qui avaient été séparées par la maladie mais dont l’amour si fort avait résisté pour, au bout du compte, se révéler dans toute sa splendeur.
Je l’ai vue mourir, j’ai vu son corps sans vie au funérarium, je l’ai vue à l’église, je l’ai vue au cimetière. En y repensant, le bruit du contact de la terre que j’ai lancée sur son cercueil résonne encore en moi. J’avais vu tout cela et pourtant, je n’y croyais toujours pas.
Des années plus tard, aux prises avec la dépression, après avoir évacué toute ma colère, j’ai enfin commencé à faire mon deuil. Enfermée dans une phase de mélancolie profonde, je passais par une étape difficile mais que je savais nécessaire pour aller mieux.
Je me rappelle être sortie de chez ma psychologue, aveuglée par un soleil tapant, lessivée, une douleur aigue à la poitrine, toutefois avec cette impression nouvelle que, vis-à-vis de ma sœur, je me sentais enfin en paix. Je n’avais plus peur de son fantôme. À la place, je voulais m’imprégner de son souvenir et l’accueillir dans la lumière. Je voulais aussi me départir de cette culpabilité d’exister qui m’avait poursuivie depuis son décès. Au fond, je voulais vivre.
Une chose est sûre, ma sœur ne cessera jamais de me manquer. Parfois, il m’arrive de penser, c’est atroce, je ne peux pas partager mes joies avec elle ni le bonheur au quotidien que je vis avec ma famille, je ne peux pas me confier comme je ne peux pas entendre ses confidences. Nous avons manqué tellement de choses et nous continuerons à en manquer. La plupart du temps, c’est un ressenti que je développe en réaction à ce que d’autres vivent. Une amie devient tante, la sœur d’un proche se marie, deux sœurs affichent leur complicité débordante. Certes, mais leurs histoires sont différentes de la mienne. Ce n’est pas parce que ma sœur est morte que je ne peux pas me réjouir pour eux.
Si la peine causée par son absence ne disparaîtra pas, elle s’exprime aujourd’hui de manière plus apaisée, parce que j’ai le sentiment d’avoir accepté. Que je ne la reverrai plus jamais, que je ne pourrai plus la serrer dans mes bras, qu’on ne pourra plus discuter pour de vrai.
Oui, physiquement, elle n’est plus. C’est un fait malheureusement insurmontable. En revanche, la place qu’elle occupe dans mon cœur, elle ne l’a pas quittée.
Alors, faute de pouvoir faire autrement, je lui parle à l’intérieur. Je l’imagine me répondre, du son de sa douce voix que je garde en mémoire. Je parle d’elle, aussi. Avec mes proches, surtout mes parents. À travers mes écrits, notamment ce livre que j’ai rédigé en sa mémoire.
Même si elle n’est plus au dehors, je continue à la faire vivre en moi. Elle m’accompagne partout où je vais. Souvent, le présent me rappelle à elle et je souris. Parfois, elle me rend visite dans mes rêves et je souris. Et je me dis que j’ai eu une chance incroyable d’avoir pu la connaître et de passer les vingt-deux premières années de ma vie à ses côtés.
Du fond de mon cœur, j’en suis persuadée. Elle est toujours là.
Française résidant à Bruxelles, âgée de trente-trois ans, j’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante parlementaire au Parlement européen. Animée par ma passion des mots, j’ai choisi de me lancer avec joie dans une aventure littéraire. En effet, écrire a toujours fait partie de moi, et ce dès le plus jeune âge. Mon premier roman, La nuit s’éveille et tout s’éclaire, est une œuvre de fiction basée sur mon récit de vie. Mon deuxième roman, Un homme vrai, raconte l’histoire d’un homme face à la dépression.