04 Déc Lâcher prise
Et ainsi vient l’été
Lâcher prise, c’est se délivrer de l’emprise que l’on exerce sur soi pour retrouver la sérénité. En acceptant qu’on ne peut pas tout contrôler, on parvient à diminuer son anxiété.
La difficulté de lâcher prise
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Tout se passera bien. Je suis dans les temps. Je dépose ma fille à la crèche, je repasse chez moi et je prends le vélo. En quinze minutes – disons vingt – je serai là où je dois être. Je ne vais pas stresser. Je m’interdis de stresser.
9h25. Il me reste plus d’une demi-heure. Tranquille. Je sors le vélo du local, ferme la porte puis la verrouille. Oh non. Il a déraillé. Je pourrais me dire, ce n’est pas grave, prends le tram, c’est encore possible, tu t’occuperas de ça demain. Tu prendras des gants pour ne pas recouvrir tes mains de cambouis. Tu respireras à grand coup et surtout, tu t’accorderas le temps qu’il faut. Tu essaieras et si ça ne marche pas, tu demanderas de l’aide. Mais non. Cela aurait été tellement simple. Et pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Il fallait que je règle ça maintenant. Cela ne pouvait pas attendre. Le problème s’était logé dans les mailles de mes émotions et l’idée qu’il puisse perturber l’ouvrage, qu’il puisse s’entremêler dans mes points à l’envers et mes points à l’endroit, qu’il puisse générer d’autant plus de nœuds qu’il y en avait déjà, m’était insupportable.
S’acharner, à quel prix ?
Alors, j’ai retourné le vélo. Je me suis acharnée sur cette saleté de chaîne indomptable sans aucun résultat. Je n’ai pas fait attention à mon corps. À mon doigt qui s’est mis à saigner. À mes mains salies. À mes muscles contractés. À mes poumons en manque d’air. J’ai persévéré. Et j’ai réussi. Sur le coup, j’étais satisfaite. Puis, je me suis demandé, oui, tu l’as fait, mais à quel prix ?
Au prix d’un sentiment d’oppression qui ne m’a pas quittée de la journée. Une journée intéressante par ailleurs, positive sur de nombreux points, mais entachée par cette fâcheuse inclination à vouloir me délester de mes tracas dans l’immédiat, parce que c’est tellement le bordel dans ma tête qu’au dehors j’ai comme un besoin vital de mettre les choses en ordre. Les exemples sont légion.
Le contrôle : un obstacle au lâcher-prise
Quand je me sens anxieuse, il m’arrive de m’adonner à des séances de rangement compulsif. Tous les objets qui traînent par terre se transforment en ennemis psychiques numéro 1, je n’établis aucune hiérarchie, une chaussette m’irritera autant qu’une serviette de bain.
Si je souhaite mettre un collier en particulier et que celui-ci est emmêlé, je vais m’acharner à le détortiller avec des gestes brusques qui ne mèneront à rien si ce n’est à m’énerver davantage.
Laisser reposer une dispute avant de reprendre la discussion plus calmement me demande une énergie considérable parce que, pendant ce laps de temps, je ne vais penser qu’à cela, mes sens en surchauffe, mon cœur battant, à refaire le film dans ma tête, exténuée face à l’effort que représente ce moment qui n’a rien d’un repos.
Quand il y a une valise à préparer ou un évènement à organiser, d’office, c’est moi qui m’y colle. J’établis des listes, je coche les cases, je demande à quelqu’un d’autre d’effectuer une tâche et je vérifie qu’elle a bien été faite. Il me faut tout contrôler, rester aux commandes, parce que je suppose les autres incapables de faire ce que j’attends d’eux si je ne leur dis pas les choses. De fait, je m’arroge leur capacité d’initiative. Sûrement car j’ai du mal à leur faire confiance. J’ai du mal à me faire confiance aussi. J’ai du mal à lâcher prise.
Un effet miroir
Nécessairement, ce manque de souplesse génère des crispations dans mon corps. J’éprouve de grandes difficultés à me détendre. Comme mon thorax souffre de tensions musculaires et articulaires, je ne peux pas respirer jusqu’au bout puisqu’à un moment donné, ça bloque, là où il y a ce nœud dans ma poitrine. Bien que beaucoup plus dormant et moins actif qu’avant, il est toujours là. Pour le dépasser et laisser gonfler ma cage thoracique, je dois forcer et ça fait mal. Résultat, mes épaules penchent vers l’avant, mes omoplates se desserrent et mon dos se voûte, ce qui fait que, malgré toute ma bonne volonté, je ne parviens pas à me tenir droite.
En écrivant ces lignes, je réalise que j’agis en effet miroir. Puisque je refuse de me laisser gouvernée par mes émotions, je cherche à les gouverner en retour, et tout le reste suit, mon cœur, mon corps, mon souffle, mes actions sous le prisme de la précipitation et du contrôle.
Je suis comme la capitaine d’un navire qui s’épuise à maintenir le cap, persuadée que si elle lâchait du lest, le bateau partirait à la dérive. Mais comment le saurait-elle, qu’il divaguerait forcément ? Comment pourrait-elle connaître les effets du laisser-aller sans essayer de s’abandonner ? Aurait-elle assez de force pour s’accrocher à la barre sans répit ? Sûrement pas. De toute façon, le navire ne suivra jamais complètement la ligne qu’elle a voulu tracer, et là je crois bien que je peux employer ce terme interdit, JAMAIS.
Cheminer vers le lâcher-prise
Accepter
Le tout c’est d’accepter, et c’est le plus difficile. Que, dans la vie, il y a des choses qui sont hors de sa portée. Qu’on ne peut pas avoir la mainmise sur tout ce qui se passe, au risque d’étouffer les autres et de s’étouffer soi. Que certains problèmes peuvent se régler plus tard et que d’autres prennent du temps pour se résoudre. Que c’est normal de commettre des erreurs et qu’on a toujours quelque chose à en apprendre. Que l’on n’a pas réponse à tout.
Nous ne sommes pas des super héros mais des êtres humains. Par essence, nous sommes limités, c’est ainsi, mais nous avons aussi des atouts à reconnaître et à valoriser. Ne l’oublions pas.
Essayer
Le tout c’est d’essayer, de se relâcher. Et de persévérer car, pour sûr, ça ne marchera pas du premier coup. Changer des habitudes qui perdent appelle une certaine constance et requiert une infinie patience.
Au début, on se force un peu, à ne pas se presser, à respirer profondément pour se calmer, à ne plus y penser. Cela nous titille. L’élément perturbateur dans notre galaxie fragile d’émotions prend toute la place tant qu’il n’est pas éliminé. La lentille focale se fixe sur le problème jusqu’à ce qu’il disparaisse.
Puis, comme pour tout, à force d’entraînement, la mécanique se huile, la rivière coule de source, le détachement devient plus naturel, les longues respirations gagnent en fluidité, les épaules se détendent. On fait confiance aux autres mais aussi à soi-même. L’anxiété invasive se transforme en un stress éphémère qui, lui, ne nous consume pas tout entier. Ce lâcher-prise, on le met enfin en pratique pour se libérer et se délivrer de l’emprise que nous exerçons sur nous-même.