Ma tristesse

Ma tristesse

Souvent, elle est bien cachée et, de fait, difficile à discerner. Comme des petits pois dissimulés dans une montagne de colère ou des gouttes d’eau mêlées à une avalanche de peur. Généralement, la tristesse, on la garde pour soi. C’est quelque chose sur lequel on ne préfère pas s’épancher.

Si cette émotion génère de la pudeur, c’est parce qu’elle induit un sentiment de honte et de faiblesse vis-à-vis d’autrui. Comme si « j’ai envie de pleurer » signifierait automatiquement « je suis une brebis fragile et délicate ». Comme si une humeur maussade serait signe de défaillance. Ainsi, on a du mal à l’assumer et, dans l’intention de faire bonne figure, on opte pour le sourire de façade.

Il m’est arrivé d’entendre, « ne sois pas triste », « il n’y a pas de raison de se mettre dans cet état-là », « c’est du passé, oublie », « ça n’en vaut pas la peine », etc, etc. Certes, je suis une personne sensible, à fleur de peau comme on dit. Seulement, comme pour toutes les émotions, la tristesse est une expérience éminemment personnelle et intime. Elle se nourrit de blessures et de frustrations singulières. Il peut arriver qu’une situation me fasse tirer des larmes et que vous trouviez ça bizarre, parce que vraiment il n’y a rien de triste. Pour vous peut-être. Mais pas pour moi. La tristesse, c’est un état qui ne se calcule pas et ne se commande pas non plus. Surtout, ce n’est pas une faiblesse. Bien au contraire. Il faut avoir une sacrée force pour dévoiler sa vulnérabilité au grand jour.

Il serait illusoire de croire qu’il est possible d’exercer un contrôle sur sa tristesse. On aurait beau tenter de la repousser, de l’enfoncer sous des couches de sables mouvants, elle trouverait nécessairement un moyen de remonter, plus forte, plus tumultueuse, plus vive, comme un oiseau assoiffé de liberté trop longtemps enfermé dans une cage qui aurait enfin réussi à s’échapper. Afin de ne pas en arriver là, il est préférable, pour commencer, d’éviter d’ériger des barrières. Généralement, pratiquer le lâcher-prise aide à mieux vivre ce qui nous arrive.

Au cours de mon chemin de guérison, j’ai appris à ne plus réprimer ma tristesse. À l’accepter telle qu’elle est, même si elle me souffrir. À présent, quand elle advient, je reconnais son existence. Et puis, je sais qu’à un moment ou un autre, elle partira.

En la laissant sortir sans attendre qu’elle n’empire, j’ai compris que ça allait mieux marcher entre elle et moi. Cette habitude plus saine me permet à présent de cohabiter avec elle de façon bien plus sereine qu’auparavant. Je suis triste, c’est ainsi, ce n’est rien d’extraordinaire, il n’y a aucun mal à cela, et, à un moment donné, ça va aller mieux. Point à la ligne.

Pour m’aider à me départir de ma tristesse sans être consumée par elle, je me rappelle où je me trouve quand l’émotion sévit. C’est l’ancrage dans le présent. Je regarde autour de moi. Je m’imprègne de l’instant. Et, à mesure que le sac se vide, je le remplis des merveilles qui m’entourent, qui me redonnent foi en la beauté du monde, tout en pensant à la chance que j’ai d’être en vie, avec tant d’amour à donner et à recevoir.

Pas plus tard qu’hier, au cours de ma promenade quotidienne, je ne me sentais pas très bien. Mes parents et mes proches me manquent. Comme tout le monde, je commence à trouver le temps long. Et, surtout, la thérapie est en train de me faire revivre des émotions difficiles du passé. Elles ont beau être lointaines, je n’en étais pas moins triste pour autant. En marchant, je me suis laissée aller. Je respirais profondément, attentive au paysage alentour. À un moment donné, je me suis arrêtée. Il y avait ce petit arbre. Splendide. Éclairé par une lumière hors du temps. Une toute petite étincelle. Une lueur d’espoir. J’ai voulu le prendre en photo. Alors, j’ai ouvert mon téléphone, et la photo de ma fille s’est affichée en fond d’écran. J’ai souri de tout mon cœur. Je me suis dit, voilà, tu as enfin exprimé ce que tu aurais dû exprimer il y a des années, une blessure profonde et douloureuse se referme, et maintenant tu te retrouves face à cet arbre, nous sommes le jeudi 29 avril 2020, il est 17 heures, et tout va bien.

La vie est belle.