Conversation avec mon coeur

Conversation avec mon coeur

– Je n’y arriverai jamais.

– Comment le sais-tu ?

– Ce que j’ai écrit pour l’instant n’a mené à rien.

– À rien ? Tu en es sûre ?

– Affirmatif.

– Pense à toutes celles et ceux qui t’encouragent. Pense à toutes celles et ceux qui ont trouvé du réconfort dans tes mots tant ils ont résonné en eux. Pense à toi, enfin, car, mine de rien, faire danser ton stylo sur le papier ou tes doigts sur le clavier de ton ordinateur te fait du bien.

– Je ne peux pas le nier, et j’en suis très touchée, mais je ne suis pas auteure comme je le rêverais.

– Cesse de proférer de telles inepties. Tu es auteure, petite tête de nœud.

– Pardon !?

– Ah ! Enfin tu es réveillée.

– Je ne dormais pas à ma connaissance.

– Si, tu cauchemardais éveillée, enfermée dans ta bulle de verre, affublée d’un nuage noir au-dessus de ta tête qui t’inonde de trombes d’eau dévalorisantes, trop effrayée pour faire un pas en avant dans la crainte de te rétamer car, soi-disant, tu ne vaudrais pas une miette de pain. Évidemment, c’est beaucoup plus facile de laisser ton pion stagner à la case départ que de lancer le dé en faisant un pari sur l’avenir. Oui, tu pourrais reculer et revenir à zéro. Mais tu ne redescendras pas plus bas. L’avant représente ton seul horizon. Même si des vagues ralentissent ta nage, même si des obstacles se mettent en travers de ta route, même si des perturbations te secouent sur ton fauteuil, tant que tu es en vie, tu peux t’accrocher et tout peut arriver.

– Quand est-ce que je serai publiée ?

– Pas si vite ! Tu me désespères. Un rêve ne se réalise pas d’un coup de baguette magique. Et, pour y arriver, le travail, l’écoute et la remise en question rentrent dans l’équation. Les coups durs, les périodes de doute et l’envie irrépressible d’abandonner, tu ne pourras pas y échapper. Toutefois, j’ai bon espoir que, en continuant à entraîner ton cerveau comme tu le fais, tu sauras mieux y faire face. Ne laisse pas le découragement avoir raison de ta détermination.

– Et si je me lançais dans cette aventure pour foncer tout droit dans un mur ? Et si j’échouais ?

– Tu m’écoutes au moins ?

– …

– Tente ta chance. Tu en as les moyens, alors saisis l’instant, sinon tu le regretteras toute ta vie.

– Et si je fais des erreurs ?

– Et si je fais des erreurs ? Et si j’échoue ? Et si… gna gna gna gna gna. Tout le monde fait des erreurs, c’est ainsi que l’on apprend. C’est votre imperfection qui vous rend humains, toi et les autres bipèdes de ton espèce. Décidemment, j’ai l’impression de parler dans le vide.

– Non… je t’écoute. Ce n’est pas facile de changer de disque dur, c’est tout.

– De le rééquilibrer, plutôt. Changer non, il restera toujours le même. Je t’assure, la mise à jour est sur la bonne voie.

– Oui, je crois.

– Sois en certaine. Félicite-toi pour tes efforts. Vois ce que tu as accompli et ce qui est aussi. Les merveilles qui t’entourent dans ton quotidien. Le sourire bienveillant de l’homme de ta vie qui t’inonde d’affection. Les rires aux éclats de ta fille dont l’enthousiasme contagieux te comble de bonheur.

– Je ne sais pas ce que je ferai sans eux.

– N’y pense pas. Ils sont là, ici et maintenant, comme on dit dans tes cours de yoga.

Sourire béat.

– Malgré ta (logique) peur face à l’inconnu, vivre dans l’amour, les pieds bien ancrés dans le présent, en paix avec ton passé, t’aidera à regarder l’avenir avec sérénité. Dans les périodes plus sombres, ne désespère pas. Le ciel bleu finit toujours par l’emporter sur les nuages.

– Que tu es sage, mon cœur. Tes propos m’apaisent et m’offrent une détente bienvenue. Du fond du cœur, merci.

– Une dernière chose. Ta fille a raison quand elle s’émerveille sans compter. Prends exemple sur elle. La vie est si précieuse, il serait dommage d’en gâcher une miette. Le chant d’un merle, le sourire d’inconnu(e)s dans la rue, la brise qui te chatouille le bout du nez. Des tables et des chaises de toutes les couleurs qui égayent un bien morne trottoir, des pétales de magnolias qui chatouillent tes pieds, un avion qui décolle pour laisser derrière lui une pluie de flocons duvetés. Les larmes perlées des nuages qui s’écoulent le long de la vitre du bus dans une course au suspense insoutenable, la lune qui se dévoile à la lumière du jour, les feuilles qui dansent au rythme de l’air chantant dans un moment de grâce inestimable. Il suffit de regarder autour de toi, de lever la tête, de baisser les yeux, d’écouter et de t’imprégner. Il ne s’agit pas de vivre à fond la caisse en oubliant de freiner. Pour exister pleinement dans ton environnement intérieur (ton corps) et extérieur (ton décor), il faut savoir accepter de ne rien faire. Juste ressentir.

– Que dire si ce n’est merci, gentil cœur. Si tu veux bien, je…

– Attends, je n’ai pas fini !

– …

– J’ai une question à te poser. As-tu foi en les autres et en l’amour que tu reçois ?

– Sans hésiter, oui.

– As-tu foi en l’amour que tu leur donnes ?

– Oui, bien sûr.

– As-tu foi en toi ?

– …

– Penses-tu que tout est ta faute et que, par extension, le monde tourne autour de ton nombril ?

– Non, je n’oserais pas !

– Je ne te crois pas une seconde.

– Je… parfois oui. Mais je me reprends beaucoup plus vite qu’avant, car j’ai conscience que je divague.

– Très bien.
Continues-tu à t’infliger des maltraitances verbales que tu n’imposerais à personne d’autre tellement elles te font mal ?

– Même réponse que précédemment.

– Arrives-tu à éprouver de la fierté dans ce que tu accomplis ?

– Plus souvent qu’auparavant, mais je ne veux pas me vanter.

– La question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de se féliciter pour avoir donné le meilleur de soi-même, pas de prétendre qu’on est au-dessus des autres et de le crier sur tous les toits. L’amour que l’on se porte se confine aux frontières du soi et il déteint nécessairement dans l’amour que tu transmets autour de toi.

– Parce que, quand je rayonne, c’est pour de vrai ?

– Exactement. Et quand ça ne va pas, tu l’acceptes et tu ne le caches plus.
Je répète ma question, as-tu foi en toi ?

– N’avais-tu pas uniquement une question à me poser ?

– As-tu foi en toi ?

– … Oui.

– Est-ce que tu t’aimes ?

– … Oui. Je m’aime.

– Mazel Tov !

En douceur, je love mon cœur au cœur de mon for intérieur.

– Une dernière chose…

– Fonce ?

– Non, surtout pas. Je dirais plutôt…

En avant, toute !