Je ne suis pas un poids pour la sécu

Je ne suis pas un poids pour la sécu

« Loin de moi l’idée de faire l’apologie de ces médicaments mais, par pitié, ne jugez pas celles et ceux qui en prennent. Toute personne mérite le respect. »

Taquin, le vent décoiffe mes cheveux, qui virevoltent allègrement au rythme de l’air dansant. Bien que mon champ de vision s’en retrouve drastiquement limité, je me laisse faire. Contrainte d’avancer à tâtons, je prends mon temps.

Le choc étourdit mon pauvre front qui se raidit sous l’effet de la douleur. Comment ai-je pu entrer en collision avec le panneau publicitaire du bus ? Mes lunettes, indemnes, mesurent leur chance. Pour une fois que je n’étais pas sur mes gardes, cela n’a pas loupé. Satanée loi de Murphy.

Curieuse, je me recule de quelques mètres. Sait-on jamais, peut-être y trouverai-je des annonces intéressantes.

Une pizza Margherita à 5,99€. Bof. Je préfère autant la cuisiner. Avec de la pâte toute prête ce n’est pas bien compliqué.

Des vacances aux Canaries pour un prix « imbattable ». Si seulement.

Une pomme rouge. Une pomme ? Ah ! J’avais mal vu. Il y a un texte aussi.

« Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la Sécu. »

Pardon ? Qui ? Que ? Quoi ? Comment !?

Cette vile moquerie imprime sur mon visage le sceau de l’humiliation.

Il me faut relire la phrase plusieurs fois avant de bouger à nouveau le petit doigt. Surpris par ma paralysie face à cet emblème non-humain de la surconsommation, des passants me dévisagent. Peu m’importe ; je suis trop occupée à encaisser un coup dur et à me départir d’une angoisse qui, de toute façon, va me suivre jusqu’à la fin du jour.

La violence de ces mots assassins m’atteint en plein cœur. Je me sens visée par une flèche insultante portant l’odeur abjecte de la stigmatisation. Au-delà de la douleur, la colère s’installe. Ces requins n’ont aucune pitié.

Quoi de mieux que de culpabiliser des personnes anxieuses minées par leur hypersensibilité ? Et pourquoi pas enfoncer le clou encore plus loin en leur faisant comprendre qu’elles représentent un fardeau pour la société ? Un grand merci à ces tortionnaires mentaux qui, décidément, ne connaissent rien à la dépression.

Au risque de me répéter : il s’agit d’une MALADIE potentiellement MORTELLE.

Aux mesdames et/ou aux messieurs architectes de cette imposture : les antidépresseurs n’ont rien d’un remède miracle qui agirait instantanément sur le moral (vous et moi ne partageons pas la même conception de ce qui est bon pour le moral mais passons, ce n’est pas le sujet, mon intention n’est pas de juger votre fond de commerce). Considérez-les plutôt comme des béquilles qui aident des personnes malades à se relever suite à une vilaine chute et à affronter un chemin de guérison éprouvant.

Je vous assure, on s’en passerait bien. Imposer à son corps d’ingérer un cocktail de substances chimiques n’a rien d’une partie de plaisir (suivez mon regard) ; surtout quand lesdites substances s’accompagnent d’une impressionnante liste de potentiels effets secondaires.

Loin de moi l’idée de faire l’apologie de ces médicaments mais, par pitié, ne jugez pas celles et ceux qui en prennent. Toute personne mérite le respect.

Votre sens de l’humour – si on peut le dénommer ainsi – laisse cruellement à désirer. Moi, il m’a blessée. Sincèrement.

Mettez-le vous bien dans votre tête. Je ne suis pas un poids pour la Sécu. Ni elle, ni lui, ni eux, non plus.