Madame Oui, Non, Mais, Oh

Madame Oui, Non, Mais, Oh

« Enfin, j’ai décidé d’arrêter de m’excuser comme je respire et, quand je m’excuse pour de vrai, de ne le faire qu’une fois. Quand je suis tentée de faire marche arrière, je m’entends me réprimander : « arrête, tu n’as rien à voir avec le mauvais temps », « cesse de t’autoflageller et de croire que tout tourne autour de toi », « il a compris que tu t’excuses et il te rassure en te disant que tout va bien, alors arrête avec tes ‘désolée’ en veux-tu en voilà ! ». « 

Certaines personnes (moi y comprise) ne peuvent s’empêcher de prononcer le mot « désolée » même si, dans le fond, elles n’ont absolument rien à se reprocher. C’est bien simple, tout est leur faute, la question ne se pose même pas. Elles manquent tellement d’estime envers elles-mêmes et de confiance en soi qu’elles se confondent en excuses dès qu’une note dissonante apparaît dans la symphonie de leur vie.

« Il pleut dehors, mon brushing ne va pas tenir. » « Désolée. » « Je suis désolée, mais tu pourrais vider le lave-vaisselle ? » « Je suis désolée si je me suis opposée à ton point de vue plus tôt. » « Je suis désolée d’avoir exprimé ce que je ressens. » « Désolée, je ne peux pas m’empêcher de pleurer. »

Je pense qu’une telle attitude répond à la peur d’heurter autrui à travers le souci constant d’être aimé. Pourquoi ? Parce qu’on ne s’accorde une valeur que si les autres nous en donnent une et l’on se sent quelqu’un uniquement si l’on a trouvé sa place en société. Quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, si la moindre opposition se présente, on en vient à s’excuser pour tout et pour rien.

Au-delà, cette fâcheuse inclination au dénigrement de soi est concomitante d’une autre habitude, non moins embêtante : quand on s’excuse, on a tendance à le faire dix fois, quinze fois, vingt fois, toute la journée, voire au-delà. Pendant ce temps, la dynamique des ruminations s’enclenche pour laisser entrer en scène l’anxiété qui se fait un malin plaisir à polluer les pensées.

Quand la situation s’y prête, exprimer ses remords sans en faire des tonnes, à une ou deux reprises, suffit. Diluer sa bonne intention dans des litres de désolation me semble contreproductif. Finalement, on en oublie le sens du message que l’on veut envoyer.

Aujourd’hui, j’essaye (laborieusement mais au moins j’essaye) de sortir de cette spirale infernale qui n’a cessé de me faire du mal.

Déjà, j’apprends à dire non et à exprimer mon mécontentement.

Oui, ce faisant, je risque d’embêter mon interlocuteur ou de heurter sa sensibilité. Mais il n’y a pas de raison que son opinion compte plus que la mienne ou que ses intérêts surpassent les miens. Je ne cherche plus à être appréciable aux yeux de tous, qu’il s’agisse du marchand de fromages, de l’ami d’un ami d’un ami, d’un client du supermarché, de l’agent du service clientèle ou d’un médecin surchargé dans sa journée.

Les personnes qui comptent réellement dans ma vie m’acceptent telle que je suis et tolèrent mes errements, tout simplement parce que je ressens la même chose vis-à-vis d’elles. Nous sommes au même niveau. Personne n’est sans reproche. Vous, moi, elles, eux, tout le monde. L’important, c’est de savoir reconnaître quand on dépasse les bornes.

Enfin, j’ai décidé d’arrêter de m’excuser comme je respire et, quand je m’excuse pour de vrai, de ne le faire qu’une fois. Quand je suis tentée de faire marche arrière, je m’entends me réprimander : « arrête, tu n’as rien à voir avec le mauvais temps », « cesse de t’autoflageller et de croire que tout tourne autour de toi », « il a compris que tu t’excuses et il te rassure en te disant que tout va bien, alors arrête avec tes ‘désolée’ en veux-tu en voilà ! ».

Comme tous les angles d’attaque de la dévalorisation (et de la dépression), c’est un exercice au quotidien. Un entraînement, aussi. Épuisant, certes, mais à force de constance et de répétition, je suis convaincue qu’il portera ses fruits. Si vous vous retrouvez entre ces lignes, je vous conseille vivement d’essayer, il y a des chances que cela vous fasse du bien.

Lors de mon premier atelier d’écriture, j’ai écrit un texte de fiction sur le sujet. Je souhaitais le partager avec vous.

« J’ai arrêté de m’excuser comme je respire. J’ai arrêté de ne pas réagir. J’ai arrêté de rougir pour ce que je suis.

Un beau matin, mon cœur m’a dit STOP ! Alors, je l’ai écouté.

Le postérieur inconfortablement installé sur une chaise aussi rigide que le règlement intérieur de mon immeuble, j’ai fusillé l’horloge murale du regard. 9h16. Les vilains, ils ont dépassé le quart d’heure de politesse.

À mes côtés, une jeune femme mâchait bruyamment un morceau de baguette tout en maltraitant son téléphone dans une chorégraphie indigeste de pulsations sonores.

Sa nervosité apparente et le vacarme qu’elle générait ont traversé les molécules d’air qui nous séparaient pour venir s’écraser sur les parois de mon cœur. Ce dernier s’est mis à interpréter un morceau de rock fort qui me tira un sursaut. Avant qu’il ne change de disque pour jouer une musique techno frénétique, j’ai décidé qu’il en serait autrement. Je n’aurais pas pu supporter un tel tohu-bohu. C’était bien simple. Je ne pouvais pas me contenir.

Déterminée, j’ai abandonné mon livre. De toute façon, les caractères y étaient imprimés en si petit qu’il m’aurait fallu une loupe pour les déchiffrer.

Sans autre forme de procès, j’ai désactivé le mode silencieux et la fonction vibreur de mon système nerveux. À la place, j’ai augmenté le volume. Modérément (pour le moment).

Malgré le risque de m’emporter dans une rivière de colère, j’ai pris mon courage à deux mains avant de m’adresser à la source de mon agitation :
– S’il vous plaît, Madame. Pourriez-vous faire moins de bruit ? Excusez-moi, j’y suis très sensible. Il m’arrive facilement de perdre mes moyens.

Jamais je ne me serais attendue à une telle réponse.

– Mettez des bouchons d’oreille, comme ça j’aurai la paix ! Sale conne !

Bloqués. Ma tête, mes bras, mes mains, mes pieds. Les mots m’ont manqué. Jusqu’à ce qu’une petite voix combative m’enjoigne de mettre le volume à fond, cette fois-ci.

– Non mais oh ! Je vous prie de ne pas me parler sur ce ton. Madame. Je suis une être humaine, comme vous, et vous me devez le respect. Votre insulte m’a blessée, mais je vais tâcher de l’oublier. Vous n’en valez pas la peine.

À son tour, les mots lui ont manqué. Avant qu’elle ne puisse répliquer, une porte s’est ouverte.
– Madame Pardonnat ? Je vous prie de me suivre s’il vous plaît.

J’ai regardé l’horloge. 9h40.
Sans adresser un regard à mon assaillante, j’ai rejoint le médecin.

– Entrez, je vous prie.
Pas si vite.
– Je comprends, nous devons être patients, puisque c’est ainsi que nous sommes nommés. Tout de même, vous pourriez-vous excuser du retard docteur !

J’ai osé exprimer mon ressenti et je ne me suis pas excusée. Tant pis s’il n’a pas apprécié.

Ce jour-là, j’ai arrêté de m’excuser comme je respire. »