S’ancrer

S’ancrer

« Bien que remise de la maladie, je suis et je resterai une personne hypersensible de nature anxieuse allergique aux situations de stress. Pour vivre mieux avec cela, une combinaison d’écoute de mon corps et d’entraînement du mental reste la meilleure méthode que j’ai trouvée. Chaque jour, dès que j’en ressens le besoin, j’y ai recours. « 

Dans les transports en commun ou en les attendant, dans la rue, chez soi ou à l’extérieur, seul, en famille ou entre amis, quand nous n’avons pas les yeux rivés sur notre téléphone, nos pensées nous assaillissent dès qu’elles entrevoient une fenêtre d’opportunité pour s’immiscer dans notre tête ; c’est-à-dire, très souvent. Pour une personne souffrant de dépression, je dirais même tout le temps. C’est comme si le cerveau, condamné à une stimulation perpétuelle, tournait à plein régime dans un tourbillon de phrases vagabondes.


L’imagination enfante des craintes qui nourrissent des inquiétudes, qui elles-mêmes alimentent l’anxiété, une source d’énergie indicible pour les crises d’angoisse. « John n’a pas répondu à mon dernier message. Je suis sûr qu’il m’en veut de ne pas lui avoir offert le café hier après avoir épongé mes émotions pendant plus de deux heures. Il m’évite et cela me fait de la peine. » Le cœur bat de plus en plus vite. Les heures défilent mais seuls quelques mots voguent à l’intérieur de soi. Comme une chanson entêtante impossible à déloger, ils s’éternisent, jusqu’à ce qu’ils perdent en intensité et soient remplacés par une nouvelle création mentale non moins infernale. Les sens, secoués comme une bouteille de lait infantile avant ouverture, divaguent alors dans tous les sens de la vague.

Mon vicieux cerveau se plait toujours à inventer des fantaisies infondées sur des preuves tangibles. Même si je ne manque pas de tomber dans le piège, je me sens aujourd’hui mieux armée pour me libérer de son emprise. Pour en arriver là, la route a été tortueuse.

Quand les pensées pullulaient, mon premier réflexe a été de les bloquer. Nécessairement, elles finissaient par revenir. Mais, si je choisissais de les laisser rentrer, elles me suivaient comme un boulet solidement enchaîné à ma cheville. Grâce au travail thérapeutique, j’ai adopté une attitude alternative.


Si je reconnaissais l’existence de ces pensées parasites et si la porte leur restait ouverte, une fois à l’intérieur, je n’étais plus là pour les accueillir en fanfare. Je les invitais à déposer leurs affaires à l’entrée et je les laissais se débrouiller toutes seules. Pendant ce temps, je tâchais de me concentrer sur autre chose : l’instant présent, ce qui est par rapport à ce qui n’est pas, ce que je ressens en moi et à l’extérieur, ce fameux « ici et maintenant » qui recèle bien plus de richesses qu’on ne le croit. Pour la première fois, j’ai appris à habiter mon corps, à porter attention à ce qui se passe en lui et à la façon dont il réagit aux stimulations. De fait, j’ai pu mieux cerner mes émotions, ce qui m’a aidée à y faire face.


C’est ce qu’on appelle la présence à soi et au monde. J’ai vite constaté que plus elle s’accompagne d’un entraînement du mental, plus elle démontre son efficacité pour combattre le stress et l’anxiété.

Cet entraînement, je le vivais au quotidien à la sueur de mon front comme une course d’endurance dont on ignore la distance et la durée. Dès que je ressentais une douleur (la dépression est une maladie psychique et physique, nous en reparlerons) et que les pulsations de mon cœur dépassaient la vitesse maximale autorisée, j’essayais de m’arrêter et de mettre en ordre mes pensées pour comprendre la source de mes tourments. Généralement, le film commençait. Et, si je n’y mettais pas un terme, il se répétait inlassablement. « Je n’ai pas reçu mon colis. Il est perdu. Je ne vais jamais être remboursée. Quel gâchis. » « Je n’ai pas reçu mon colis. Il est perdu. Je ne vais jamais être remboursée. Quel gâchis ». Et patati et patata. Jusqu’à ce que je dise, STOP.


Tu vas faire tout ce qui est en ton possible. Tu ne vas pas rester les bras croisés à ruminer mais agir. « Je vais appeler le service client. Je vais expliquer ma situation. Je sais que je suis dans mon droit. S’ils ne sont pas compréhensifs, j’exprime mon mécontentement. S’ils me disent qu’ils doivent mener leur enquête, j’accepte qu’ils reviennent vers moi SANS IMAGINER LE PIRE. En attendant, je cesse d’y penser puisque je ne pourrais rien y faire si ce n’est me polluer le cerveau. En attendant, je profite. En attendant, j’existe pleinement. »

Aujourd’hui, même si je n’ai plus le sentiment de courir sans m’arrêter, je continue à pratiquer ces exercices ponctuellement. Lorsque j’évolue dans des eaux troubles et qu’il m’est plus difficile de nager, je porte des brassards pour me maintenir à la surface. Cet appui, comme celui de mes proches, je ne saurais m’en passer. On a toujours besoin d’aide, même là où on l’attend le moins.

Comme le constate Rose, le personnage de la grande-sœur dans mon livre La nuit s’éveille et tout s’éclaire (https://www.librinova.com/librairie/helena-dahl/la-nuit-s-eveille-et-tout-s-eclaire), les enfants « paradent contre la mauvaise humeur en surfant sur la vague de l’enchantement. Dans le plaisir insouciant de la tendre enfance, seule compte la magie de l’instant. Nous avons tous quelque chose à en apprendre. »

C’est grâce à ma fille de trois ans que j’ai appris à réenchanter ma vie. Avec son sens aigu de l’observation, elle m’a enseigné l’art de l’émerveillement. En sa délicieuse compagnie, des éléments anodins en apparence revêtent une dimension extraordinaire. « Maman regarde, un pigeon qui vole ! » « Un avion dans le ciel, ça fait une ligne derrière, génial ! » « Le feu est rouge, maintenant il est vert ! » « Les tomates c’est délicieux ! » « Les gouttes d’eau sur la vitre, elles bougent. Waouh. » Waouh.

Maintenant, je porte une attention nouvelle à mon environnement. Par exemple, quand je me promène, je m’intéresse au contact de mes pieds sur le sol, à l’air qui caresse mon visage, ma main et les autres parties découvertes de mon corps, à la myriade de bruits qui composent le paysage sonore, aux feuilles qui dansent au gré du vent, aux personnes qui croisent ma route, à mon cœur qui bat en chantant. Les pensées sont toujours là mais n’interprètent plus le rôle principal.

Au-delà, il m’arrive d’interrompre le cours de ma journée pour ressentir l’univers qui m’habite sans rien faire d’autre que de l’écouter. Les yeux fermés, j’aide mon corps à se relâcher. Il ne doit plus y avoir aucun contrôle.

Si les émotions me submergent ou au cas où je m’égarerais dans le royaume de mes pensées, j’effectue plusieurs respirations profondes (par le nez) pour revenir en moi. J’inspire le plus longuement possible, je bloque l’air, j’expire jusqu’à ce que mes poumons se vident, je bloque, et je recommence, tout cela à intervalles réguliers. En expirant, c’est comme si je me débarrassais de tout ce qui m’encombre. En inspirant, je recharge mes batteries d’une énergie positive. Là encore, le regard est posé à l’intérieur. On peut le faire assis sur une chaise avec les pieds bien à plat, assis en tailleur par terre sur un coussin, allongé ou debout, dehors ou chez soi, le tout c’est de se faire du bien.

Autre pratique que j’ai pleinement intégrée dans mes habitudes, le kundalini yoga. On le surnomme le « yoga de l’âme ». Au début de la séance, des respirations et échauffements se succèdent avant que ne s’ouvre le kriya, une séquence de postures qui énergisent le corps pour l’aider à le vider de ses tensions et à atteindre un sentiment de paix intérieure. Cet enchaînement s’effectue selon le travail du jour, qui peut être lié au cœur, au renforcement du système immunitaire, du système digestif, à l’évacuation du stress, de la colère, etc. Cette pratique puissante et libératrice allie également la méditation et le chant. J’assiste à un cours par semaine et c’est toujours un grand bonheur.

Bien que remise de la maladie, je suis et je resterai une personne hypersensible de nature anxieuse allergique aux situations de stress. Pour vivre mieux avec cela, une combinaison d’écoute de mon corps et d’entraînement du mental reste la meilleure méthode que j’ai trouvée. Chaque jour, dès que j’en ressens le besoin, j’y ai recours.

En s’ancrant dans le réel, on éclaire le chemin de sa guérison pour le rendre moins périlleux. En habitant le sanctuaire de son être, on parvient à avancer plus sereinement et à se redresser plus facilement en cas de chute puisque l’on voit où l’on met les pieds. Et, plus généralement, en étant présent à soi et au monde, on illumine le chemin de sa vie, dont le tracé sera toujours parsemé d’obstacles auxquels il faudra bien faire face pour aller de l’avant.

Que la paix soit avec vous !