04 Nov Maman a un gros bobo qui ne se voit pas
Ma chérie,
Peu avant que tu ne souffles ta première bougie, Maman est tombée malade. Alors que je revenais au travail après avoir passé onze mois à tes côtés, je me sentais vaciller. Seule face à mon ordinateur, j’avais perdu tous mes repères. C’est bien simple, je ne me sentais bonne à rien. La poitrine nouée, je comptais les heures avant de vous retrouver, toi et Papa. Le moment venu, je regagnais le sourire, mais la douleur s’accrochait. Je l’implorais, va-t’en ! Laisse-moi respirer, laisse-moi profiter, parce que je suis enfin avec eux et que je n’attendais que cela. Tu crois qu’elle m’aurait écoutée ? Non, parce qu’elle n’en faisait qu’à sa tête. À la place, elle m’injectait des bouffées d’angoisse en continu.
« Ils m’ont tellement manqué aujourd’hui. J’aurais voulu être avec eux. Je n’ai pas envie de retourner au bureau demain. Je vais faire n’importe-quoi là-bas de toute façon. Sans eux, je ne suis rien. » Le disque se répétait, encore et encore, jusqu’à l’usure. Ma tête s’est mise à tourner très vite. Et, au bout d’un mois et demi d’absence, je suis retournée à la maison.
À mesure que le temps passait, j’ai souhaité te préserver. De mes crises de pleurs, de mes pics d’angoisse et de mes accès de colère. Je me cachais pour que tu ne me voies pas ou alors je gardais tout à l’intérieur, enfilant un masque que je croyais indécelable. Mais tu avais percé ma carapace. Tu savais que Maman ne se comportait plus de la même façon, tu savais que Maman avait mal.
Si tu avais besoin d’être sécurisée, tu te réfugiais dans les bras de Papa. Il était devenu ta référence, au point que seule en ma compagnie, tu réclamais sa présence, beaucoup plus rassurante, beaucoup plus apaisante, beaucoup plus stabilisante que la mienne. Même si je souffrais de cette situation, je la comprenais. Consciente que ta maman ne pouvait pas prendre soin de toi comme elle l’aurait voulu, tu suivais ton propre instinct de survie. Et heureusement. Heureusement que ton père, si doux, attentionné et bienveillant, était là pour toi (et pour moi aussi).
Si j’ai pu te parler trop durement et si mon attitude a pu te faire peur, comme lorsque je m’énervais démesurément si tu ne mangeais pas, je te demande pardon. Même si je n’étais pas dans mon état normal, cela n’excuse rien au fait que j’ai pu te faire du mal.
Un beau jour, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Prise au dépourvu, je n’ai pas osé soutenir ton regard. À la hâte, je me suis réfugiée dans la salle de bain. Les minutes ont défilé puis la porte s’est ouverte en grand. Papa te tenait la main. Dans tes yeux émus, j’ai pu lire une compassion sincère qui m’a touchée droit au cœur. Sans plus attendre, tu t’es réfugiée dans mes bras, murmurant un simple « Maman » à mon oreille. Un « Maman » qui voulait tout dire, je t’aime ; ça va ? ; j’ai fait quelque chose de mal ? ; je suis triste à te voir comme ça ; pourquoi tu pleures ? ; je suis là pour toi ; j’ai peur pour toi ; j’ai besoin de toi ; je veux ma Maman d’avant.
Habitée par une sérénité qui m’avait tant manquée ces derniers temps, je t’ai prononcé ces mots :
« Ma chérie, Maman un gros bobo qui ne se voit pas.
C’est lui qui me fait pleurer, qui me rend triste et qui me fatigue beaucoup. Je te rassure, il va disparaître. Il faut juste un peu de patience et tu verras, je me sentirai mieux. Si je suis comme ça, ce n’est pas à cause de toi. Tu n’as rien fait de mal. Au contraire, c’est en grande partie grâce à toi que mon bobo diminue. »
Plus tard, j’ai su que tu m’avais comprise, ce jour-là. Après m’avoir entendue pleurer, tu es venue me voir et tu m’as demandé un câlin. C’est alors que j’ai entendu ta petite voix résonner avec douceur, « Maman, gros bobo ? Voit pas ? » Submergée par l’émotion, je t’ai répondu, « Oui mon trésor, c’est mon gros bobo qui ne se voit pas. Il m’a fait mal mais maintenant ça va mieux, parce que tu es là. » Sans rien faire de plus qu’en étant toi, tu me faisais du bien.
Dès lors, quand l’occasion se présentait, même quand j’allais relativement bien, tu continuais à m’interroger sur mon gros bobo. Et je te disais, « oui ma chérie, j’ai un gros bobo qui ne se voit pas, mais il est beaucoup moins gros maintenant. Un jour, il disparaîtra. »
Toi : moi aussi j’ai bobo au genou.
Moi : oui et il disparaîtra lui aussi.
Quelques jours plus tard…
Toi : il est où ton gros bobo Maman ?
Moi : dans ma tête ma chérie. Mais tu sais, il est beaucoup moins gros maintenant. C’est un plus petit bobo.
Toi : moi aussi j’ai bobo au genou.
Moi : oui, mais regarde, il est moins gros lui aussi !
Toi : ah oui ! Il est moins gros ! Comme le bobo de Maman !
Moi : exactement ma princesse, tu as tout compris !
Et un beau matin…
Toi : pourquoi tu as un bobo Maman ?
Moi : … pour plusieurs raisons, mais surtout parce que Tata me manque.
Toi : elle est où Tata ? On peut la voir sur le téléphone comme Papi et Mamie ?
Moi : … non, mon cœur, malheureusement on ne peut pas. Elle avait un très très gros bobo et elle est partie dans un autre endroit pour aller mieux. Mais c’est beaucoup trop loin pour nous, tellement loin qu’on ne peut ni la voir ni l’appeler.
Toi : c’est triste. On se manque avec Tata.
Moi : … oui, c’est triste, qu’on ne puisse pas la serrer dans nos bras. Mais tu sais, elle est toujours là.
Toi : où ?
Moi (en désignant ton cœur) : ici. Elle prend le goûter avec nous d’ailleurs. Les biscuits au chocolat trempés dans du lait, elle a toujours adoré ça.
Toi : moi aussi !
Moi : tu l’entends rire de bonheur ?
Toi : oui ! Mais…
Moi : oui ?
Toi : tu as un bobo comme Tata ?
Moi : oh non ma chérie ! Je n’ai pas un bobo comme Tata. Je n’ai jamais eu un bobo comme Tata.
Toi : et ton bobo dans la tête il est plus petit ?
Moi : oui, bien sûr. Beaucoup plus petit. Maman va bien mieux.
Toi : oh je suis contente Maman. Maman aime.
Avec ton papa, vous étiez, vous êtes et vous resterez ma plus grande source de joie. Même dans les moments les plus difficiles, je me suis toujours accrochée parce que je vous savais avec moi. C’est votre amour qui m’a sauvée, comme tes éclats de rire, tes élans d’affection et tous ces instants précieux de complicité que nous avons vécu et que nous continuons à partager chaque jour pour mon plus grand bonheur.
Moi : moi aussi je t’aime ma princesse, plus que tout.
Toi : moi aussi, Maman aime plus que tout !