10 Déc La petite voix de l’espérance
« Ces victoires, je ne devrais pas les mettre sous silence. Je peux me féliciter sans rougir d’avoir gagné du terrain sur la désespérance. Ces victoires, elles sont autant de graines que je sème sur la terre de ma renaissance. Elles écloront en leur temps. Ce qui compte, c’est de leur laisser le temps. Personne n’arrive à rien. On arrive toujours à quelque chose même si ce n’est pas ce que l’on aurait souhaité au départ. »
Récemment, j’ai souffert d’une grosse crise d’angoisse. Les larmes ont coulé pendant près d’une heure. Il m’a fallu plusieurs jours pour m’en remettre et pour que mon cœur s’apaise à nouveau.
Lorsque j’écris, je ne regarde pas ma montre. Mais, assez rapidement, je me fatigue. La concentration me fait défaut. Ma poitrine se noue. Mon corps me dit, fais une pause. Tu n’y arriveras pas sinon. Et j’ai tellement de mal à l’entendre.
Bien souvent, mon corps se crispe, je peine à me détendre et la tentation de m’activer pour ne pas penser est forte.
Dès que l’occasion se présente, je m’installe sur mon fauteuil de réalisatrice pour faire des films. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. J’invente des répliques aux autres, je leur créé des pensées de toutes pièces, je fictionne des rancœurs et des mécontentements. Je comble des silences du fruit de mon imagination. J’anticipe le pire.
Dans ce magma psychique et émotionnel nage une figure omniprésente contre laquelle je lutte depuis ces deux années. S’il m’arrive de la noyer sous le flot de ma persévérance, elle reste indélogeable. Quelle que soit la forme qu’elle épouse, du grain de sable au taureau omnipotent, je dois apprendre à composer avec. Comme tout le monde. Personne n’est à l’abri du découragement ou de la désespérance.
Il est atrocement plus facile de s’embourber dans la frustration, il est tellement aisé de laisser tourner la sempiternelle complainte de celle-qui-n-arrivera-jamais-à-équilibrer-son-mental-quoi-qu’elle-fasse-parce-que-tu-comprends-ma-fille-la-vie-est-une-chienne, il est si naturel de s’appesantir sur ses échecs, ses limitations et ses problèmes. Alors qu’il suffirait d’observer, autour de soi et en soi. Mais cela demande des efforts, et c’est fatigant.
Je visualise deux boulets solidement accrochés à mes chevilles. Ils ne m’empêchent pas de me déplacer même si, bien évidemment, ils m’alourdissent considérablement. Chaque pas en avant les fait diminuer, chaque pas en arrière leur redonne du volume. À une exception près, et pas des moindres. Mes progrès. Si je pense à eux et je les mets en action, les boulets restent plus petits, parfois même ils rétrécissent, malgré la chute qui m’avait donné l’impression de plonger. Et ce que je percevais comme une faiblesse se mue en une force.
Non, ce n’est pas vrai de me dire que j’en suis toujours au même stade, que je n’y arriverai jamais, que je traînerai à vie des boulets qui me feront retourner inlassablement à la case départ.
Oui, il y a peu de temps j’ai fait tomber les chutes du Niagara depuis mes yeux enflammés. Mais cela m’arrive moins souvent que par le passé. Si je me sens troublée pour une raison ou pour une autre, j’ouvre plus facilement mon cœur.
Oui, je ne peux pas écrire très longtemps à chaque fois que je me mets à l’ouvrage, mais je suis beaucoup plus sereine que je l’ai été quand mes doigts pianotent sur le clavier ou mon stylo caresse le papier. J’ai écrit un livre. Je travaille à un second. Je rédige des articles de blog que vous-même lisez (et je vous remercie de me suivre). J’assiste à un atelier d’écriture pour m’améliorer. J’invente des histoires pour ma fille. Je créé, y compris des dessins et des peintures où j’explore d’autant plus les confins illimités de mon imagination.
Oui, me relâcher est un défi. Mais cela ne m’empêche pas d’y arriver, alors qu’au début de la maladie j’étais constamment en tension.
Oui, je souffre d’anxiété, et je pense qu’elle ne cessera pas de revenir à la charge. Mais j’ai appris à la maîtriser. J’ai appris à ne pas me laisser envahir par elle aussi intensément qu’avant. À laisser couler ces pensées paralysantes en accordant plus d’importance à ce qui est, ce qui est vraiment, à la matière brute et non aux ornements que mon mental brode spontanément puisqu’il s’agit pour lui d’un jeu d’enfant. Untel n’a pas répondu à mon dernier message. Pourtant cela fait plus d’une semaine. Il m’en veut parce que je lui aurais dit ça l’autre jour. Oh la la j’ai fait quelque chose de mal. Et ce nœud dans la poitrine qui me prend. STOP. Reviens-en au fait de base : untel n’a pas répondu à mon dernier message. Pourquoi ? Tu n’en sais rien. Vis ta vraie vie. Ta fille et ton mari rigolent à côté de toi. Rejoins les parce que, là, maintenant, tout de suite, c’est tout ce qui compte. Le reste, tu verras bien.
Ces victoires, je ne devrais pas les mettre sous silence. Je peux me féliciter sans rougir d’avoir gagné du terrain sur la désespérance. Ces victoires, elles sont autant de graines que je sème sur la terre de ma renaissance. Elles écloront en leur temps. Ce qui compte, c’est de leur laisser le temps. Personne n’arrive à rien. On arrive toujours à quelque chose même si ce n’est pas ce que l’on aurait souhaité au départ.
Il y a quelques mois, j’ai eu envie de me remettre au vélo. Lors de ma première balade après toutes ces années, mes mains se contractaient sur le guidon. Des sueurs froides glaçaient mon cou. Je comptais sur la présence de mon mari qui roulait devant moi pour me rassurer. Une grosse voix résonnait dans mon inconscient.
La grosse voix : pfffff. Ça ne vaut même pas la peine d’essayer. Regarde comment tu te tiens sur ton vélo. Aucune aisance, aucune fluidité, c’est pathétique.
Et une petite voix répliquait.
La petite voix : mais, ça fait longtemps que tu n’en as pas fait. C’est déjà quelque chose d’essayer.
La grosse voix : n’importe quoi, c’est moi qui ai toujours raison.
La petite voix : comment… comment tu le sais ? À ce que je sache, elle n’est pas encore arrivée, non ?
Moi : quoi ?
La petite voix : ta défaite. Je ne vois pas comment tu pourrais avoir déjà perdu un défi que tu viens de te lancer.
La grosse voix (déjà plus petite) : mais elle va forcément ne pas réussir !
La petite voix (déjà plus grosse) : moi, je vois que ce je vois. Je vois une femme sur son vélo en équilibre et qui avance d’elle-même. Dans la grande majorité des cas, l’aisance n’est pas innée. Et ça ne sert à rien de chercher à arriver au niveau des autres. On arrive à son niveau, un point c’est tout.
Aujourd’hui, je me suis améliorée. Faire du vélo est devenir un plaisir quotidien dont je savoure avec délice les notes de liberté. J’avance à mon rythme, je prends des initiatives, j’ose, je tâtonne et j’apprends, sans cesse. Certainement, je ne suis pas à l’abri d’une chute. Mais c’est comme pour tout ce qu’on entreprend n’est-ce pas ? Pour se lancer sur la voie de l’autonomisation, il faut, au bout du compte, un minimum de prise de risque. Il faut y croire aussi.
Au bout du compte, je suis convaincue que cette petite voix de l’espérance supplante la grosse voix du défaitisme car, une fois qu’elle déploie ses ailes et qu’elle prend ses marques, rien ne peut plus l’arrêter.