06 Jan Une femme libérée
« Une femme n’est pas un sexe faible, c’est un être fort. Elle a sa place à prendre dans le monde au même niveau que tout un chacun. Elle mérite d’être prise au sérieux et d’être respectée au même niveau que tout un chacun. »
Une fois que l’on a appris à se connaître, un autre défi s’impose, et pas des moindres : rester soi-même au sein du monde qui nous entoure. Et c’est là où les choses se corsent. Dans un collectif régi par un certain nombre de codes et où se dressent des barrières qui génèrent des inégalités de divers ordres, il est difficile de conserver son intégrité et de s’assumer tel que l’on est.
Si nous sommes tous amenés à voyager sur le chemin de notre vie en tant que membre de la grande famille de l’humanité, nous ne partons pas avec le même bagage. Selon que nous soyons nés ici ou ailleurs, avec ou sans handicap, selon notre niveau de revenu, nos origines, notre couleur de peau, notre orientation sexuelle ou même notre sensibilité, des obstacles se mettront en travers de nos routes. Selon notre sexe aussi. Au cours de la crise existentielle que j’ai traversée, s’il y a bien un aspect qui a retenu mon attention par rapport à la place que je suis amenée à occuper en société, c’est mon identité en tant que femme. Cette femme que j’ai enfin appris à connaître et à aimer.
J’ai compris que s’il n’y a pas « un » homme, il n’y a pas « une » femme non plus. Être une femme ne s’explique pas, comme si on pouvait dire, alors voilà, une femme, c’est plus petit et moins fort qu’un homme, avec des cheveux plus longs, des lèvres plus charnues, pas de poil sur le cailloux, une poitrine un minimum volumineuse, le visage fin et peint, les fesses galbées, le ventre plat, une femme, c’est quelque chose d’esthétique, un corps à regarder, un corps à reluquer, un corps à tripoter, une femme, ça ne la ramène pas, c’est délicat et sensible, ça parle nécessairement froufrous et rituel beauté, parce que sinon, ce n’est pas féminin, ce n’est pas une femme. N’importe quoi. Non, être une femme ne s’explique pas. Être une femme, cela se vit. C’est une expérience personnelle qui va bien au-delà des attributs physiques ou des carcans dans lesquels on voudrait l’enfermer.
Ma féminité, je l’ai redécouverte avec joie. Avec ou sans robe, avec ou sans maquillage, avec ou sans bijoux, la femme est toujours là. Elle porte du rose parce qu’elle aime ça et elle trouve que le bleu se marie très bien avec le rose. Elle est émotive comme pourrait l’être un homme. Elle est sportive comme pourrait l’être un homme. Elle a ses humeurs comme peut en avoir un homme. Elle prend soin d’elle comme pourrait le faire un homme. Elle a du répondant comme peut en avoir un homme et elle n’a pas à s’excuser de penser. Elle a un corps dans lequel elle veut se sentir bien en recherchant la paix intérieure et la légèreté de l’âme. Elle a des centres d’intérêt et des valeurs qui ne sont pas nécessairement « féminins ». Elle aime être qui elle est, une femme imparfaite parce que, comme chacun sait, la perfection n’existe pas et de toute façon qu’est-ce que ça veut dire une femme parfaite ? Parfaite aux yeux de qui ?
Avant d’arriver à m’accepter telle que je suis, le cheminement a été long. Notamment parce qu’au cœur de mes émotions refoulées se logeaient des traumatismes profondément enfouis. Mis en lumière par la thérapie, ils se sont révélés comme des bombes à retardement. Et ils n’ont fait qu’accentuer la prise de conscience qui m’a saisie de plein fouet : je les avais vécus parce que je suis une femme. Des années plus tard, j’ai réalisé à quel point ces évènement douloureux influaient sur la faible estime que je me portais mais aussi sur mon comportement et faisaient naître des peurs irrationnelles qui me terrorisaient. J’en avais honte. Puis, en y faisant face, tout a changé. La colère a fait surface. Avant de se muer en détermination. Non, je n’ai pas à avoir honte. Aucune victime ne devrait avoir honte. Mais ceux qui leur font du mal, ah ça oui.
Non, une femme n’est pas un morceau de chair fraîche dont on peut disposer à sa guise pour satisfaire ses pulsions primaires. Son corps n’appartient à personne d’autre qu’elle-même et elle est la seule concernée par les décisions qui s’y rapportent. Si pour des raisons médicales des manipulations ou interventions devraient être effectuées sur celui-ci, par pitié qu’on lui demande si elle est d’accord et qu’on lui dise ce qu’on va lui faire, c’est la moindre des choses. Une femme a ses propres désirs et elle ressent du plaisir, il ne devrait pas y avoir de tabou sur ces sujets-là. Elle a le droit de s’habiller comme elle veut et de sourire comme bon lui semble sans que cela ne soit pris comme un appel à lui sauter dessus. Si elle dit non, elle veut vraiment dire non. Et si elle ne dit rien, cela ne veut pas pour autant dire qu’elle consent, parce qu’il se peut qu’elle ait trop peur et qu’elle décide de se taire. Une femme n’est pas un sexe faible, c’est un être fort. Elle a sa place à prendre dans le monde au même niveau que tout un chacun. Elle mérite d’être prise au sérieux et d’être respectée au même niveau que tout un chacun. Bordel.
Ma fille, je lui dis bien plus que, oh que tu es belle princesse. Je lui dis aussi, tu es forte, tu es courageuse, tu es intelligente, tu es drôle, tu es tout à la fois. Si tu veux jouer au ballon, joue au ballon. Si tu veux jouer à la poupée, joue à la poupée. Si tu veux jouer aux voitures, joue aux voitures. Si tu veux dessiner, dessine. Porte du rose, du bleu, du vert, du jaune, du rouge. Tant que tu te sens bien dans tes vêtements et dans tes baskets, c’est tout ce qui compte. Et n’oublie pas, exprime-toi. Tes émotions, sors-les de toi. Dis ce qui va, ce qui ne va pas. Tout ce que tu as sur le cœur.
Il y a une année à peu près, nous nous rendions toutes les deux à une aire de jeux. Je la portais d’un bras. L’endroit baignait dans le calme ; seule une petite fille était en train de s’amuser. Quand elle nous a vues arriver, elle est restée bouche bée, avant de m’adresser la parole.
Elle : Waouh, tu es super forte. J’sais pas si j’y arriverai moi.
Moi : Avec un peu d’entraînement et en grandissant, tu y arriveras c’est sûr. Les filles, elles sont fortes aussi tu sais.
Elle : Tu m’aides à m’agripper aux anneaux ? Je vais te montrer comment je tiens longtemps !
Moi : Bien sûr. Tu es prête ?
Elle : Oui, on y va !
Ensemble : Un, deux, …, quatorze, quinze secondes !
Moi : Bravo !
Elle : En fait t’as raison. Nous les filles on est fortes aussi.
Moi : Oui. Tout le monde a de la force en soi.
Ne laisse personne te prétendre le contraire parce que tu es une fille.
Ne laisse personne te mettre dans une case, te dire ce qu’il faut que tu fasses et comment te comporter.
Ne laisse personne t’ôter ta liberté.