Émotivement vôtre

Émotivement vôtre

« Aujourd’hui, je parviens à mieux comprendre mes émotions. Surtout, je les accepte telles qu’elles sont. Celles qui me font souffrir, je leur fais face pour m’en délivrer. Il m’est devenu impensable de les garder en moi. Celles qui me font du bien, je les exprime plus facilement, et je me rends compte de la chance que j’ai de les avoir. La confiance que j’ai gagnée m’aide à réagir plus posément qu’avant. »

Dans la tourmente de la dépression, mes émotions s’exprimaient de façon démesurée.

Une remarque qui ne passait pas et je me mettais dans une colère excessive.

Si une vague de tristesse m’affaiblissait, je ne pleurais pas, j’éclatais en sanglots douloureux. La respiration hachée, je ressentais une pression aigue au niveau du centre du cœur. J’avais envie de crier mais tout ce qui ressortait, c’était un gémissement étouffé.

La peur décuplait en intensité pour se transformer en anxiété et en angoisse.

Et même dans les moments heureux, il m’arrivait d’émettre des rires bruyants, au point de paraître insincères. Mais ils ne l’étaient pas, bien au contraire. Seulement, je n’arrivais pas à y mettre de filtre. Comme pour tout le reste.

J’étais passée d’un extrême à l’autre sur l’échelle du relâchement. Après des années à les ignorer, mes émotions s’étaient mises à me gouverner. Elles coulaient à flot. Si j’essayais de les retenir, elles répondaient avec une force de frappe face à laquelle il m’était impossible de résister. Elles n’aspiraient qu’à être entendues. Elles souhaitaient que je les comprenne. Elles n’avaient qu’une envie, que l’on se parle, pour pouvoir se séparer de moi en bons termes. Elles en avaient assez d’être maintenues prisonnières. À un moment donné, il y avait un tel problème de place qu’elles ne m’ont pas laissé le choix. Le verrou a sauté. Et la dépression s’est installée. Pour retrouver un semblant d’équilibre, j’allais devoir apprendre à réapprivoiser mes émotions sans toutefois chercher à les contrôler.

Un jour, j’ai entendu mon mari dire à notre fille : viens, on va mettre le manteau et on ira tous les deux au parc. Tout de suite j’ai pensé, et moi alors ? Je n’existe pas ? Je n’existe plus ? Prise par une impulsion soudaine, je me suis énervée. Comment ça « tous les deux » ? Pourquoi tu ne lui as pas dit « tous les trois » ? De toute façon, je ne suis qu’un boulet pour vous deux. Malade et fatigante. Etc. Etc. Évidemment, il n’a pas compris ma réaction. Son intention n’était pas de m’exclure, il s’est tout simplement dit que j’avais peut-être envie de faire autre chose et il m’a donc laissé le choix.

J’avais réagi vivement, sans réfléchir, en spectatrice passive du tourbillon émotionnel qui m’avait envahie. Oui, un tourbillon, parce qu’il y en avait beaucoup, des émotions, qui s’entremêlaient, se confondaient, partaient en vrille, si bien qu’elles étaient indéchiffrables, à moins de se poser pour se calmer trente secondes et de prendre son temps pour discuter.

Moi (à mon époux) : je ne me sens pas bien, je vais me reposer dans la chambre.

Lui : d’accord.

Je referme la porte derrière moi.

Moi (à moi-même) : qu’est-ce qui ne va pas ?

La colère : il voulait partir sans toi, tu te rends compte !?

La peur : et s’ils te laissaient pour ne jamais revenir ?

La joie : je reste sans mot.

La tristesse : je pense que tu ne vas pas bien à cause de tes peurs. Ça te ferait du bien de te libérer un peu…

Moi : tais-toi (pardonne-moi tristesse, je n’étais pas tendre avec toi) !

La colère : oui ce n’est pas le moment de la ramener, fontaine à eau salée de piètre qualité de mes deux.

La tristesse et la surprise : non mais pour qui tu te prends ? Tu lui fais du mal à force d’ouvrir ta grande gueule. Laisse-moi respirer bon sang !

Moi : mon cœur bat très fort.

Mon cœur : je n’ai pas le choix, parce que sinon tu ne m’entends pas ! Elle a raison, la fontaine a eau salée. Tu as peur.

La peur (fière) : eh oui !

Moi : de quoi ?

La peur : au risque de me répéter, et s’ils te laissaient pour ne jamais revenir ?

Moi : l’abandon. C’est vrai, c’est ma grande peur, et bien plus encore, une vraie phobie. Depuis que ma sœur est partie. Et même avant, quand elle est tombée malade. Je l’ai toujours vécu comme un abandon.

Mon cœur : est-ce qu’elle a vraiment voulu t’abandonner ?

Moi : … non.

Mon cœur : est-ce que ton époux et ta fille vont t’abandonner ?

Moi : … non.

Mon cœur : il est temps que tu affrontes cette peur pour t’en séparer.

La peur : hé !

Mon cœur : ne t’inquiète pas, tu ne vas pas partir, elle aura toujours peur de quelque chose, c’est humain. Mais cette peur-là, elle ne devrait pas la garder en elle.

La peur de l’abandon : en effet. Je me suis trop longtemps éternisée ici.

La tristesse : je veux pas dire, mais il y a comme un embouteillage sous tes yeux.

Finalement, je cède à la pression. Les digues lâchent.

La colère : haaah mais que quoi…

La tristesse : c’est fini oui ! Laisse-moi parler.

Moi : oui, laisse-là parler.

La colère : puisque c’est comme ça je crie, moi aussi j’ai besoin de me libérer.

Au bout de plusieurs longues minutes, je me sens relativement mieux. Juste à ce moment-là, la porte s’ouvre. Immédiatement, je me lève pour se blottir dans ses bras. Elle est là aussi. Le temps est suspendu à la force de notre amour. Je m’excuse pour ma réaction et je lui en explique les raisons. Ma sœur. La peur de l’abandon. Je lui dis que je vais travailler dessus en thérapie. Il me comprend à présent. Il accepte mes excuses. Et il me soutient, comme toujours.

Ce qui est important ici, c’est de dissocier l’intensité de la réaction de l’émotion en elle-même. Je n’avais pas à m’excuser d’avoir eu peur. Je me suis excusée parce que j’avais réagi au quart du tour et qu’il en avait été blessé, ce qui est tout autre chose.

Aujourd’hui, je parviens à mieux comprendre mes émotions. Surtout, je les accepte telles qu’elles sont. Celles qui me font souffrir, je leur fais face pour m’en délivrer. Il m’est devenu impensable de les garder en moi. Celles qui me font du bien, je les exprime plus facilement, et je me rends compte de la chance que j’ai de les avoir. La confiance que j’ai gagnée m’aide à réagir plus posément qu’avant.

Enfin, et je ne l’ai compris que depuis peu, s’il m’arrive toujours de riposter abruptement sous l’effet du stress ou de l’anxiété, ce n’est pas parce que je suis en train de me départir d’un état dépressif de longue durée. C’est parce que je suis humaine. Cela arrive à tout le monde de s’égarer. Mais aussi d’avoir, de temps à autre, des grosses tristesses, des grandes colères, des peurs intenses et, plus ils sont nombreux, mieux c’est, de merveilleux moments de joie.