Mon hypersensibilité

Mon hypersensibilité

Avant de tomber malade de la dépression, j’arrivais à garder un calme relatif dans les transports en commun, même quand ils étaient bondés. En pilotage automatique, je me déconnectais du monde extérieur pour me protéger. Mais, ce jour en particulier, je n’étais pas ailleurs, j’étais là, dans le bus, avec tous ces gens autour, et c’était comme si toutes mes sensations étaient décuplées. Les odeurs me sont devenues insupportables. L’air ambiant me paraissait irrespirable. La lumière m’agressait. Et les bruits me faisaient sentir mal. Surtout un bruit en particulier, qui émanait de ma voisine directe, une petite fille. Elle claquait bruyamment sa langue sur son palais à un rythme régulier, parsemant de petits rires le jeu qu’elle s’était inventé. Ce bruit a expulsé tous les autres. Les conversations, la voix qui annonce les arrêts et qui rappelle de bien valider son ticket, le vrombissement du bus. Ce bruit me tétanisait. À l’intérieur, mon cœur s’emballait, mes nerfs surchauffaient et ma respiration se hachait. Je devais lutter contre une impulsion de lui scotcher la bouche, chose que je n’aurais évidemment jamais faite mais qui me passait tout de même par la tête. Ce fut un soulagement de la voir partir.

Par chance, je me rendais chez ma psychologue, alors j’ai pu tout de suite partager cette expérience avec elle. C’est là que j’ai entendu parler pour la première fois de l’hypersensibilité, ce trait de caractère qui fait que l’on réagit de façon plus intense aux stimulations de son environnement que d’autres personnes, parce que l’on ressent et l’on perçoit les choses plus fortement.

C’est ce qui fait que, si je suis dans un endroit où il y a beaucoup de monde, que cela soit un espace confiné ou une immense plaine, je vais rapidement me sentir oppressée.

C’est ce qui fait que je ressens davantage le besoin de m’isoler.

C’est ce qui fait que, si une personne dans mon entourage se sent mal, je vais facilement m’en rendre compte. Je vais aussi avoir tendance à me sentir mal pour elle.

C’est ce qui fait que les odeurs, lumières ou bruits forts me déstabilisent.

C’est ce qui fait qu’une œuvre d’art peut résonner profondément en moi, comme lorsque j’ai écouté le « Nessun Dorma » de l’opéra Turandot lors d’un concert retransmis à la télévision et que mes yeux étaient au bord des larmes.

C’est ce qui fait que je supporte difficilement la pression, du temps, des autres ou celle que je m’inflige.

C’est ce qui fait que je vis mal les erreurs, les oublis et la critique.

C’est ce qui fait que je suis telle que je suis.

À mesure que j’apprenais à écouter mon corps et à l’habiter, mon hypersensibilité, qui avait toujours été là, s’est révélée. Devenue attentive à ce qui se passe en moi et à ce qui m’entoure, je l’ai laissée fleurir. Et, même si elle induit des difficultés, je l’ai acceptée comme faisant partie de moi. De toute façon, je n’ai pas le choix. Il ne s’agit pas d’une pathologie dont on guérit, elle est là, point à la ligne. Alors, autant essayer de composer avec elle pour mieux vivre sa vie.

Déjà, c’est important de pouvoir en parler autour de soi, même si on peut avoir le sentiment d’être incompris. Si l’on m’invite à une fête d’anniversaire où beaucoup d’invités sont annoncés, et que je réponds par la négative, je vais en donner la raison. Si une pièce est trop éclairée, avant d’éteindre une ou deux lumières, je vais en discuter avec les autres personnes présentes. En cas de dîner en famille, si j’ai besoin de m’isoler, j’explique pourquoi. Il ne s’agit que de quelques exemples.

Il y a des fois aussi où on n’a pas d’autre choix que de faire face à des situations qui nous dépassent. Des fois où l’on ne peut pas fuir. Dans ces moments-là, respirer lentement et profondément m’apporte une aide précieuse. Si je peux, je m’appuie également sur un soutien extérieur.

Aujourd’hui, je ne cherche plus à dominer ou à contrôler mes émotions, parce que cela supposerait d’aller à l’encontre de ce que je ressens, de tout garder à l’intérieur, et ça, c’est fini. À la place, j’apprends à les apprivoiser, pour conserver un ascendant sur elles (je reste maîtresse de ma propre maison) tout en leur laissant une marge de liberté. Mes émotions font partie de moi, je ne peux pas les ignorer ou leur faire dire le contraire de ce qu’elles veulent me dire, mais je ne vais pas les laisser me gouverner non plus.

Au final, l’hypersensibilité n’est pas que complications. Elle ne fait pas de moi une faible. Au contraire, je dirais qu’elle est le vecteur d’une grande force. Je réalise que, sans elle, je n’aurais pas la même imagination, je n’écrirais pas de la même façon, je n’apprécierais pas l’art de la même manière, je n’aurais pas la même empathie, ni la même intuition. Sans elle, je vivrais les choses différemment. Sans elle, je ne serais pas qui je suis. Alors, non seulement je l’accepte, mais je l’aime aussi. Parce que, et à présent je peux l’écrire, avec un grand sourire, je m’aime comme je suis.