Des mots pour le dire

Des mots pour le dire

Quand on sort de son cocon, le risque d’interaction désagréable est inévitable. Il est de ces instants auxquels on ne s’attend pas et que l’on aurait préféré ne pas inscrire à la dernière minute dans son agenda. Ainsi va la vie, imprévisible et parfois impétueuse.

La journée s’écoule tranquillement, et, en me promenant avec une amie, nous croisons un homme qui me regarde dans les yeux avant de me cracher des mots empoisonnés au visage. « Elle est plate celle-là, hahaha », comme si mes petits seins faisaient de moi une bête de foire. Je n’ai rien dit.

Je suis en pleine conversation téléphonique avec un conseiller de service clientèle parce que j’ai du mal à installer la nouvelle pièce qu’ils m’ont envoyée pour réparer le siège auto de ma fille. « C’est simple comme bonjour. Un enfant de six ans pourrait faire ça. » Je n’ai rien dit.

Une personne dans mon entourage a menti à mon égard. Je n’ai rien dit.

Je n’ai rien dit, mais j’ai ruminé, encombrant ma tête de « non mais voilà ce que j’aurais dû dire ! » 

« Je préfère être plate au niveau de ma poitrine que de mon cerveau. »

« Je ne comprends pas comment vos qualités relationnelles proches du zéro vous ont propulsé au rang de conseiller client. »

« Pourquoi as-tu menti ? Je suis profondément déçue ».

Bam.

Et le disque a continué à tourner, avec des variantes telles « Je suis moche ? », « Je suis stupide ? », « Je suis une fraude ? ». Des pensées qui ne m’ont absolument pas aidée. Au contraire, elles n’ont fait que nourrir mon anxiété. Pour aller mieux, je devais cesser de me taire et de tout garder en moi. J’allais devoir apprendre à m’affirmer.

Il ne s’agit pas de rugir comme un lion face à une situation incommodante (quand cela m’arrive, je vois combien les effets d’une telle attitude sont délétères, autant que quand je choisis de me taire), mais plutôt de répondre avec assertivité, en accord avec qui l’on est, en assumant sa position à défendre, en admettant que l’on puisse avoir tort, tout en faisant attention à respecter les autres, même s’ils ne nous respectent pas. Se confronter ainsi suppose une solide confiance en soi. Si je ne suis toujours pas arrivée à ce stade, j’ai l’impression de m’exprimer plus facilement et mieux. Dans de telles circonstances, mon cœur bat encore vite, mais je me dis, comme pour tout, qu’à force de pratique, il se calmera.

Comme cette fois où, au supermarché, je pesais tranquillement les fruits avec ma fille. Pour être sûre de ne pas faire d’erreur, je suis allée vérifier le type d’orange que nous avions choisi, ce qui a dû me prendre, en tout et pour tout, dix secondes. Entre temps, une femme s’était postée à côté de la balance. Elle avait l’air nerveuse.

– Bon, c’est pas ça, mais il y a des gens qui attendent ! Vous auriez pu vérifier avant le nom de votre fichue orange ! Dépêchez-vous un peu bon sang !

Choquée, j’ai pris une longue inspiration avant de répondre.

– Je comprends que vous soyez pressée – soit dit en passant, il n’y a personne derrière vous – mais ce n’est pas une raison pour me parler sur ce ton.

– Et maintenant vous m’agressez ? Vous ne vous excusez même pas ? C’est scandaleux.

Doublement choquée, j’ai retorqué.

– Non, Madame, par contre je me sens clairement agressée. Vous m’êtes tombée dessus en me parlant comme si j’étais un objet sans âme. Si vous m’aviez demandé gentiment d’accélérer le mouvement, je l’aurais compris, et je me serais excusée. Un peu de respect ne ferait pas de mal.

– Mais comment osez-vous !?

– De ne pas me laisser marcher sur les pieds ? J’ose, voilà tout.

Ce jour-là, en ouvrant la bouche, je me suis donnée de la valeur.

Certains pourraient dire, pourquoi répondre ? Cela montre que tu accordes de l’importance à un évènement insignifiant. Cette personne, tu ne la recroiseras plus dans ta vie, et quand bien même, tu ne te souviendras plus de son visage. Quel est l’intérêt de gaspiller ton énergie sur le moment ? Pour moi, l’intérêt est évident.

En m’exprimant avant, je ne gaspille pas mon énergie après, à refaire le film de cette altercation avec des dizaines de prises qui me rendraient toujours plus insatisfaite. Si mon cœur a mal, si mes émotions remontent à la surface, j’ai besoin de les sortir. Je n’arrive plus à prétendre être insensible, forte et invulnérable. Si je ne peux pas parler, par exemple parce que les circonstances ne s’y prêtent pas (imaginons que ma fille se soit mise à pleurer à chaudes larmes), j’écris. Rien ne doit rester à l’intérieur.

L’étape suivante, et ô combien indispensable, c’est le lâcher-prise. Même si le conflit avec cette femme ne s’est pas résolu, je m’en fiche, puisque nous sommes des inconnues l’une pour l’autre. J’ai dit ce que j’avais sur le cœur, et c’est tout ce qui compte. En cas de dispute avec un proche auquel on tient, c’est différent, parce que nous ferons des efforts pour trouver un terrain d’entente et tourner la page.

Dans le sens inverse, ça marche aussi. Au plus fort de la dépression, c’est parce que les autres m’ont alertée et se sont plaints quand je me comportais mal que j’ai pu progresser. Aujourd’hui, j’ai beau ne plus être malade de la même façon, ce principe s’applique de la même manière. Je l’écris souvent, personne n’est irréprochable. Même si c’est désagréable à entendre, je préfère que l’on s’exprime si je dis ou fais quelque chose qui peut heurter. Le silence est le meilleur terreau pour la rancœur et de futures disputes difficiles à comprendre et à accepter. « Tu fais tout le temps cela et ça me fatigue ! » « Comment cela tout le temps ? Si ça t’est vraiment insupportable pourquoi n’as-tu rien dit avant !? » On connaît la chanson.

Au bout du compte, en apprenant à s’exprimer, on apprend à (se) faire du bien.