28 Mar C’est l’histoire d’un éléphant rose qui tombe amoureux d’une licorne nuage
« Maman, tu peux raconter une histoire ? » Pour la dixième fois de la journée. Vais-je y arriver ? « D’accord ma chérie. Voyons… C’est l’histoire d’Armand l’éléphant rose qui tombe amoureux d’Agnès la licorne nuage. Armand veut retrouver Agnès dans le ciel. Grâce à la poussière d’étoile de son ami l’oiseau bleu Marcello, il arrive à s’envoler. Enfin, Armand peut déclarer son amour à Agnès. Perchée sur son nuage de vagues, la cantatrice Bérénice chante la joie qui enchante le ciel. » « Maman, tu peux raconter une autre histoire ? » « Voyons… »
Je suis tellement reconnaissante envers ma fille de m’inciter à déployer mon imagination dans une intention positive. Sous son impulsion, j’invente des univers par centaines, peuplés de personnages originaux qui réenchantent son quotidien, et le mien par la même occasion. En des temps pareils, c’est un cadeau précieux.
Le virus qui sévit dehors est à même de générer les fantasmes et les prévisions les plus catastrophistes. On pense que, on suppose, on interprète, on arrive à voir l’avenir. Oups, je tousse, ça y est je suis malade. Oups, cette personne vient de se moucher pas loin de moi, je vais tomber malade. Ça va durer des mois. Le virus va encore muter. C’est la catastrophe, on ne va pas pouvoir éviter le pire, la fin du monde arrive… Aaaaaaah ! STOP. STOP. STOP.
Où est le vrai du faux ? Impossible de répondre. Ces pensées ne décrivent pas le réel. Elles ont été créées de toutes pièces. Pourquoi ? Pour combler un vide, je dirais. Pour mettre une lumière artificielle sur des zones d’ombre. Parce qu’on supporte difficilement de ne pas savoir. Et, en ce moment, il y a beaucoup de choses que nous ignorons. C’est cela même qui nourrit notre anxiété.
La seule manière de sortir de ce cercle vicieux, c’est d’accepter la limitation de ses connaissances et, partant de là, de s’en tenir aux faits. L’homme s’est mouché à côté de moi. Est-ce que je ressens le moindre symptôme ? Non. Est-ce que ça m’aide de m’inquiéter parce que tout de même il se pourrait que dans quelques jours la probabilité que j’ai mal quelque part se concrétise ? Non. Point à la ligne. J’arrête là et je passe à autre chose. Reproduire dans ma tête le film de cette prétendue contamination n’aura aucune retombée positive pour ma santé, bien au contraire. C’est bien connu, trop stresser, ce n’est pas bon pour l’immunité.
Personnellement, j’essaye de lutter contre cette fâcheuse tendance à considérer la vie comme un livre ouvert. Après avoir refoulé tant d’émotions par le passé, j’ai du mal à garder les choses en moi et, par extension, je voudrais que les autres me disent tout également, qu’ils ne me cachent rien, parce que le simple fait qu’il y ait quelque chose à cacher met en marche mon imagination à mauvais escient. De nature anxieuse, je voudrais tout garder sous contrôle et ne laisser la place à aucune marge d’interprétation. La moindre faille ouvre la voie à une pollution mentale que je veux à tout prix éviter pour garder un semblant d’équilibre émotionnel. Mais voilà, la vie, ce n’est pas comme ça. Par essence, elle est flexible. On ne peut pas l’enfermer dans une case ni la faire suivre un ordre prédéfini. On ne maîtrise pas tout.
Il n’y a pas uniquement ce que nous savons ou non, il y a aussi ce que nous choisissons de partager avec autrui ou pas. Avec nos enfants, la question ne se pose même pas. On ne va pas rentrer dans les détails sur tout ce qui se passe dans nos vies parce qu’on veut leur en épargner certains aspects. L’intention primaire, c’est la protection. C’est la même chose entre adultes. Imaginons que vous et moi venons d’avoir une discussion difficile. À la fin, nous parvenons à un terrain d’entente. Je vous demande, « ça va aller ? ». Vous me répondez « Oui, ça va », mais d’un ton qui sous-entend que peut-être non, ça ne va pas en fait. Dans une telle situation, j’aurais tendance à insister, « vous êtes sûr ? », sous-entendu parce que je ne vous crois pas. Eh bien là, pareil, je dois aussi m’en tenir aux faits et lâcher prise. Si vous me dites « ça va », c’est que ça va, et même si quelque chose continue à vous turlupiner mais que vous choisissez de ne pas l’exprimer, c’est votre décision et je dois la respecter. C’est sûrement pour une bonne raison que vous la prenez. Pour ne pas me heurter par exemple, ou alors parce que vous estimez que cela n’en vaut pas la peine. Face à vous, je dois me limiter à observer, pas à faire des projections hypothétiques. Parce que je ne peux tout simplement pas entrer dans votre tête. Chacun a son jardin secret, vous comme moi. Il est parfaitement sain de l’entretenir et de le cultiver à son aise.
Si l’inquiétude est là, intéressons-nous donc à ce qui est et à ce que le présent nous montre, plutôt que de fatiguer notre esprit en le faisant voyager dans de lointaines contrées.
Protégeons-nous en arrêtant de chercher à tout savoir.
Inventons-nous des histoires pour rire et nous évader plutôt que pour nous faire peur.
L’imagination est sans limite. Cultivons-la pour nous faire du bien, car c’est tout ce dont nous avons besoin en ce moment.