30 Jan Laisse rentrer le soleil
La joie est une émotion difficile à accueillir, lorsque l’on souffre d’une dépression. On estime qu’on n’y a pas droit. Et pourtant. En lui ouvrant la porte en grand quand elle est là, on s’autorise un bien-être indispensable pour aller mieux.
Laisse rentrer le soleil
La joie
La joie de vivre
Une photo. Il s’en était fallu d’une photo pour me faire replonger.
C’était un été, en Suède. Six mois après le diagnostic de ma maladie. Un après-midi, nous avions profité d’un temps ensoleillé pour aller nous baigner. J’ai nagé en pleine mer et en plein dans ma peur, celle de mettre ma tête sous l’eau, qui me poursuit depuis ma toute petite enfance. Mais voilà, je ne me suis pas noyée. J’étais bien là, dans cette étendue d’azur et de merveilles qui, sans vagues pour la perturber, me paraissait plus accueillante qu’à l’accoutumée. Mon père a pu immortaliser la scène depuis son téléphone. Quand il m’a montré le résultat, cela ne faisait aucun doute. J’avais ressenti une émotion qui m’était alors aussi rare que le plus précieux des diamants : la joie. Une joie pure, simple, sans calcul. La joie de vivre, tout simplement.
La culpabilité de ressentir la joie
Aussi improbable que cela puisse paraître, quand j’ai vu cette photo, je me suis sentie mal. La culpabilité s’est accrochée à mon navire pour le faire tanguer sans répit. Ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait. Et le même disque rayé qui tournait dans ma tête. Tu as une dépression. Comment as-tu pu être joyeuse ? La chape de plomb s’était reformée pour me recouvrir de la tête aux pieds. Je m’en voulais de m’être sentie bien.
Comme pour tout le reste, cela n’a pas été facile de sortir de cette spirale infernale. Aux prises avec mon virus de la pensée, je m’interdisais la félicité. Pourquoi ? Je dirais par crainte. J’avais la frousse du qu’en-dira-t-on. Non mais attends quoi, quand t’as une dépression, tu restes cloîtrée à la maison, allongée au lit, à compter les moutons, parce que c’est ça la dépression, c’est la loose totale, tu broies du noir, du gris foncé, cinquante nuances de sombre en veux-tu en voilà, mais alors du jaune, ça non, sinon t’es pas malade, tu vis dans le mensonge, tu profites du système sur le dos des autres, surtout de tes collègues qui triment au boulot en ton absence alors que non, t’es pas malade, sérieux c’est abusé. Pardon, vous pouvez répéter ?
S’imprégner de la chaleur du soleil
Cette photo, j’ai été tentée de l’effacer. J’en étais allée jusqu’à me dire, oh la la, mais si elle tombe entre les mauvaises mains, qu’est-ce qui va se passer, on va me forcer à retourner au travail, parce que j’ai passé un bon moment alors que je suis censée aller mal ? Heureusement, je ne l’ai pas fait. Cette photo, je l’ai toujours. À présent, quand je la regarde, je souris, consciente que c’est grâce à des instants comme celui-ci que j’ai réussi à aller mieux. C’est une chose que le soleil brille, c’en est une autre de s’imprégner de la chaleur et de la lumière qu’il envoie.
La joie et le rire
Ce rayonnement intérieur passe aussi par le rire. Pendant mon enfance et mon adolescence, il était toujours là, grâce à mon père, qui n’a cessé de le faire fleurir avec une inventivité hors pair et un sens incroyable du rythme. Relâcher nos zygomatiques nous aidait à nous dépasser, à nous libérer, à nous évader, pour affronter les tempêtes, y compris les pires. À mon Papa, champion de gymnastique de l’esprit, je tenais à te dire, Merci. Merci aussi à mon époux et à ma fille de rire avec moi chaque jour. Le rire est bon pour la santé, et je ne suis pas la première à l’écrire.
Comédie thérapie, acte I, Scène I
Si je devais vous raconter une anecdote, ça serait celle-ci (oui, j’ose ; d’ailleurs, si ça peut en décomplexer certains, tant mieux). Au plus fort de la maladie, mon intestin a largement souffert. Ce n’est pas pour rien qu’on en parle comme du deuxième cerveau. Le ventre gonflé et les gaz faisaient partie de mon lot quotidien de désagréments. Un soir, à l’issue d’une crise d’angoisse particulièrement difficile, je me suis allongée dans mon lit pour me calmer. Mon corps en a profité pour dégainer l’artillerie lourde de gargouillis. C’était, pour ainsi dire, la mitraillette. Le volume était réglé au maximum, la cadence est devenue infernale. Mon époux est rentré dans ma chambre. Il m’a demandé, tu vas mieux ? Puis, très vite, il a entendu. Perplexe, il m’a regardée dans les yeux sans rien dire. Et là, d’un coup, c’est venu. Je me suis mise à rire. « Cela fait vingt minutes que ça dure, c’est la première fois que ça m’arrive, ça en devient drôle ! » Les tensions se sont relâchées. Les rires sont repartis de plus belle. Le rythme s’est ralenti. Et c’était fini. Comédie thérapie, acte I, scène I. Diagnostic : étonnamment efficace. Les larmes ne sont pas faites que pour pleurer.
Conversation avec ma joie
Ma joie : ça ne mérite pas un grand sourire ? Tout ça ?
Moi : tout ça ?
Ma joie : ce chemin parcouru, toutes ces victoires engrangées sur la maladie ?
Moi : ne parlons pas trop vite, je n’en suis pas complètement sortie non plus.
Ma joie : bla bla bla bla bla… mais regarde où tu es aujourd’hui ! Et là, tes lèvres s’inclinent vers le ciel ? Tes fossettes ressortent ?
Moi : … oui. Je suis en train de sourire devant mon écran d’ordinateur en pensant à ton visage lumineux qui rayonne depuis le centre de mon cœur. Tu as raison, voyons le bon côté des choses.
Ma joie : c’est ça ! Dès que tu serais tentée de te dire, non mais, c’est pas possible, encore l’anxiété, encore l’oppression à la poitrine, encore le catastrophisme, encore le poison de la dévalorisation, penses-y. Remercie-toi et toutes celles et ceux qui t’ont aidée et t’aident encore. Félicite-toi pour tes efforts. Vois ce qui a changé en mieux. Accorde-moi un peu d’espace, s’il te plaît. Plutôt que « ne t’inquiète pas, sois heureuse », je dirais volontiers, « laisse rentrer le soleil ». Allez, chante avec moi. Tu t’en fiches, personne ne t’écoute, et quand bien même, qu’est-ce que ça changerait ?
En chœur : Let the sun shine, let the sun shine in, the sun shine in, woo wooo wooo, yeah yeah yeah !
Moi : Ça va déjà mieux 😊
Tout ressentir
Le psychiatre que j’avais vu à l’époque m’avait demandé, quand est-ce que vous vous estimerez guérie ? Et moi de répondre, quand ma courbe d’émotions cessera d’emprunter en permanence des dénivelées aussi extrêmes. Quand je me sentirai davantage en paix avec moi-même et ce qui se passe autour de moi. Quand je serai capable de tout ressentir, de tout accueillir, y compris la joie, parce que j’y ait le droit aussi, non ?
À l’issue de notre discussion, j’ai compris, ce jour-là, que je n’irai pas mieux en cherchant inlassablement la joie, mais plutôt en lui ouvrant la porte en grand quand elle est là. J’irai mieux quand j’aurai appris à être à l’écoute, de mon corps, de toutes mes émotions, d’autrui, à m’ancrer dans le présent, à m’apprécier pour ce que je suis. J’irai mieux quand je me serai réapproprié ma vie.
Héléna DAHL
Française résidant à Bruxelles, âgée de trente-trois ans, j’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante parlementaire au Parlement européen. Animée par ma passion des mots, j’ai choisi de me lancer avec joie dans une aventure littéraire. En effet, écrire a toujours fait partie de moi, et ce dès le plus jeune âge. Mon premier roman, La nuit s’éveille et tout s’éclaire, est une œuvre de fiction basée sur mon récit de vie. Mon deuxième roman, Un homme vrai, raconte l’histoire d’un homme face à la dépression.